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La Nouvelle Lettre du Jeudi
31 mars 2008

Fadeurs comptables


La tâche comptable me déprime. J’ai égaré l’un ou l’autre document, mon dossier de sécurité sociale est en retard d’un an, pas moins. J’ai gagné, tenez-vous bien, treize mille neuf cent cinquante-neuf euros trente-sept cents en deux mille sept. Et comme deux mille huit s’annonce bien mal, il est possible qu’il faille au moment du bilan diviser cette somme par deux (et du coup augmenter les dettes dans la même proportion).

J’écris tout cela bien conscient du caractère anecdotique de la chose ; mais comme les journalistes adorent ce genre d’anecdote… Quand il m’arrive d’en rencontrer un, souvent, la question qui lui brûle les lèvres est de savoir comment je parviens à vivre de mon art. Vivre est un bien grand mot. Je ne vis pas de mon art, il représente pour l’instant un revenu d’appoint, au mieux, pour la communauté familiale.

Certes, j’ai de grands projets. Le livre noir est l’un de ceux-là ; mais la caractéristique de mes projets est d’intéresser jusqu’à un certain point, mais pas au point de susciter un engouement massif, ou, du moins, appréciable, de la part du public. Un engouement qui me permettrait de négliger plus sereinement les détails comptables de la vie quotidienne.

Alors, quid, Happy few ou Unhappy crowd ? (si jamais le lecteur me suit dans les brusques sauts auxquels je m’adonne sous ses yeux). Je serais tenté de croiser les termes et de parler d’un unhappy few que j’opposerais à un happy crowd. Car la foule, la masse, « le » public, peu importe ici comment on désigne cette entité, semble heureux de la soupe qu’on lui sert. Ce sont les minorités qui sont à présent malheureuses, qui ont le sentiment d’une exclusion, d’un retrait par défaut, d’une éradication rampante de ce qui constitue le fond de leur goût, la culture.  La majorité se plaît au show continuel qu’on lui joue. Le sida, de ce point de vue, est du pain béni, il permet d’organiser ces messes télévisuelles larmoyantes. Tout malheur est retourné en larmes rémunératrices. Plus ça fait mal, plus l’émotion est palpable et mieux c’est. Il faut que l’on puisse se prendre dans les bras, se serrer, se palper, faire la chaîne humaine. La victimisation bat son plein, et ça marche ! Rires et larmes sont le couple de l’air du temps. L’émotionnel d’abord, on réfléchit après.

Dans cet état de chose, qu’on n’ose pas trop appeler une civilisation et société à peine, je demeure suspendu à ma question : quel peut être le sens de mon travail ? Il me semble qu’il faut une bonne dose de folie, de foi en l’art, d’espérance, pour continuer à écrire, graver et projeter des dispositifs complexes du type « livre noir ». L’artiste, et en bathmologue cohérent, je m’empresse de feuilleter ce terme, n’est pas vraiment au centre du centre, mais est-il à la marge pour autant ? L’art d’aujourd’hui consiste-t-il à participer au marché de l’art? Et si l’on n’y participe pas, est-on un artiste ? Au point où j’en suis, je ne sais même plus si je peux revendiquer la qualité d’être un artiste.

Il est vrai que je n’ai guère facilité ma tâche. Mes choix sont tout à l’opposé des goûts du jour. Pire qu’à l’opposé, je crains même qu’ils ne soient rien du tout, même pas opposables. Assez de ces fadeurs rédigées entre deux tas de papiers à classer. Je ferais mieux d’aller me perdre du côté de Montoulieu. 

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