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La Nouvelle Lettre du Jeudi
4 février 2008

Tu reviendras à R.

The man that that that “that” says, says that that “that” is that that “that” is “so”. Cette phrase extraite de L’automne à Madrid alors que le Lingas s’étire sous un voile de nuages bas. Ses flancs sont tout enneigés. Le Barral est noir et roux, ramassé sur lui-même comme un vieux matou cévenol. Une couche de glace qui hésite entre l’état liquide et l’état solide couvre le paysage. Tout est immobile. Quel contraste avec l’orage violent qui a éclaté ce matin, tôt ; il était à peine quatre heures trente. Le silence est en proportion de l’immobilité des choses. Il n’y a que le moteur de cette machine qui fait entendre, mais en sourdine, son sifflement. Je retarde le plus que je peux le moment de parler de la Chine, bien que je sois sommé de le faire parce que j’imagine une très illusoire attente de la part des rares passants qui s’arrêtent en ce lieu virtuel quelque peu austère et désolé. La pâleur du plateau me ramène néanmoins à ce voyage si bref qu’il mérite à peine le nom de « voyage ». Bien sûr, je songeais à ce que m’avait écrit Maryvonne avant de partir. Je songeais aux remarques de Renaud Camus à propos de l’obligation d’obturer le hublot pendant le vol. Heureusement, j’ai pu voir les immensités blanches de la Sibérie, de la Mongolie et de la Chine. J’ai vu des montagnes noires et arides, des villages perdus avec quelques malheureux champs et une ligne de chemin de fer venant d’on ne sait où et allant on ne sait vers quelle destination perdue entre ces montagnes enneigées. Il y a de gigantesques fleuves gelés qui se tordent comme des serpentins de carnaval avec des affluents minuscules et innombrables. Mon regard passait des pages de Benet au paysage de la Sibérie. Tout cet infini désolé et austère des horizons sibériens était le lieu idéal de la lecture. La métaphore de l’aéroplane survolant le paysage comme le lecteur survole les pages n’eut aucun mal à prendre forme dans mon esprit ; non sans réticence. Car « survoler » me paraît impropre à qualifier la lecture authentique. Un lecteur qui survole le texte ne retiendra pas grandes choses de ce qu’il lit (mais peut-être le texte manque-t-il dans ce cas de la résistance sans laquelle la lecture ne peut pas tout à fait opérer). L’œil s’égare dans l’horizon du paysage tandis que l’œil du lecteur s’accroche aux phrases et aux mots, creusant le sens dans l’épaisseur sémantique des paragraphes. L’œil du lecteur dans le cas favorable d’un texte qui résiste quelque peu s’attarde donc, revient sur les mots quand l’aéroplane file vers sa destination sans demander son reste (sauf son passeport au voyageur). Lire, tout comme écrire, tient de la cavatine (toujours R.C.). Et puisque lire, c’est relire, j’ai relu « L’automne à Madrid » lors du vol qui me ramenait à Paris. Je parlerai de la Chine le moment venu, il convient d’abord de dire quelques mots à propos de Benet (je salue, en passant, Didier Goux). L’influence de Faulkner est partout lisible, mais elle n’est pas pesante. Je parle ici de Région et non de L’automne qui m’a paru plus dégagé de la tonalité de l’auteur des Palmiers sauvages. Je n’ai pas terminé la lecture de Région (que le lecteur excuse cette contraction du titre, c’est à la fois une commodité et un signe de sympathie ; j’écris Région comme j’écris La Recherche parce que ce livre se confond avec une part (la lointaineté) de moi-même). Je sais déjà néanmoins, comme le titre le suggère, que je reviendrai à Région. L’art de Benet procède du désenchantement, certes, mais il y a un je ne sais quoi de magique qui consiste à faire osciller sans cesse la balance des mots entre l’Être et le Néant. Dans le texte de Juan Benet, l’on n’est sans cesse. Ce qui formellement m’a séduit, l’insertion de longs dialogues qui tiennent plus du monologue et qui s’étirent jusqu’à former des pans de proses où l’on se perd avec délectation comme les héros se perdent dans les forêts de Région, oubliant que l’on est en train de lire une réplique. C’est cet oubli que j’aime, cet oubli qui laisse le lecteur basculer dans une dimension fantastique du texte, une dimension rêveuse et qui flirte avec la métaphysique, et, il m’a semblé, la théologie. Ne pourrait-on dire de ce roman ce que dit Juan Benet de l’écrivain Bajora, qu’il est intemporel ? Pour une fois, je découvrais une version moins rigide et tranchée de la guerre civile espagnole. Je lève les yeux et constate que le Barral est enneigé (Salutations ici à Renaud Camus) et moins noir que tout à l’heure par conséquent, mais tout aussi enclos sur lui-même. Dans le même temps que je survolais les steppes, je m’enfermais avec le cercle de Madrid. J’étais avec Juan Benet dont les initiales sont identiques aux initiales de Jan ; et tant que j’en suis à repérer des homologies si platement anecdotiques, je signalerai que je suis né en octobre comme l’écrivain espagnol. Je n’en tire aucune conclusion, je me contente de relever une grande empathie de ma part pour cette œuvre. Je ne dirai pas que là, dans ce texte, je suis chez moi, c’est justement l’inverse qui est vrai, mais sur ces terres si rêches et si hostiles accueillantes, je retrouve un sentiment que je connais.      

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Commentaires
D
"Chine l'absente" ?
M
Oui, les « passants » attendent mais ils ont des patiences de terre battue et de ciel bas.<br /> Et tandis qu’ils attendent, la « Conversation de Bierges » entame son voyage vers l’Hérault, apportant entre ses pages des nouvelles de l’énigmatique endormi de Tolund.
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