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La Nouvelle Lettre du Jeudi
22 janvier 2008

Contrainte

Rien de spontané dans ces lignes que j’écris. Avant d’écrire, je tourne et retourne des phrases, je les oublie, puis elles me reviennent : elles ont baigné dans le révélateur ; elles sont peut-être meilleures, on l’espère. La censure, ou la contrainte, est très présente ; mais peut-être la notion de "contrôle" est-elle plus pertinente en ce qui concerne ces lignes qui s'empilent . Je m’interdis de citer certains noms, d’écrire tout fait qui n’engage pas que moi et dont le récit pourrait gêner par un côté ou un autre la tierce personne qui y serait mêlée. Je parle peu de ma famille, je parle peu de mes émotions, sauf si elles nourrissent l'image que le texte développe. Je restreins le champ du journal à ce que je vois et entends et qui a un lien plus ou moins direct avec la chose artistique. J’écoute, par exemple, à l’instant, Pierre Alechinsky qui parle très bien de son art à l’émission de radio Peinture fraîche. Il parle de son ami le sculpteur Geenhout (orthographe ?) et de l’engagement en art. Alechinsky est anti-art engagé, dit-il. Il rappelle que « geen » signifie « rien » et « hout » « bois ». Je note cette remarque en ayant à l’esprit la ligne directrice de ce journal qui est, il ne faut pas l’oublier, le journal d’un graveur et non le journal d’Olivier Deprez. Ici, je recense mes lectures, les films que je vois, les paysages, les compositeurs que j’écoute (ce que je fais peu en ce moment car pour écrire, j’ai besoin du silence absolu). Hier, j’ai regardé  Jules et Jim de Truffaut, le film passait sur Arte. M’ont sauté à l’oreille et à l’œil, la distinction, la tenue, des personnages. J’ai essayé d'imaginer ce que l'on ferait aujourd'hui de ce genre d’histoire qui peut déraper très facilement dans le graveleux. Comparaison idiote, je veux bien, car il se trouve certainement quelque part dans le monde des réalisateurs vivants un artiste capable de donner une vision aussi sensible que celle de Truffaut des aventures de l’amour, et plus singulièrement d’un amour qui cherche à innover, un amour qui échappe au modèle du couple sans sombrer dans la trivialité de l’échangisme. Je ne me souvenais pas que le film était aussi rempli de trouvailles visuelles : les plans aériens, les incises d’images documentaires de la guerre recadrées et cernées d’un liseré noir, les arrêts sur image, etc. Le goût pour la littérature, le fait que le film soit la transposition d’un livre, apparaît à chaque plan sans que cela ne soit dérangeant. J’aime beaucoup la chanson que chante Jeanne Moreau, et j’ai toujours été amoureux de cette Jeanne Moreaux-là que Truffaut nous révèle ; à cause de la chanson, il me semble.  J’aime aussi l’accent de Jules (belle idée cette inversion des prénoms : un prénom français pour l’Allemand, un prénom anglo-saxon pour le Français). La fenêtre est chagrine. Tout est gris et venteux. Dans trois jours, je serai en Chine pour une courte semaine.

J’ai reçu, enfin, le papier que j’attendais : du « zerkal bütten », 150g ; un papier qui vient de Leiden en Hollande. Je suis occupé à le couper, premier geste qui précède l’impression et qui, pour moi, engage déjà le geste de la création. Cette activité répétitive est très proche d’une méditation. Il faut être tout entier dans le geste qui coupe au risque de déchirer le papier et de tailler de travers. Je déments à l’instant ce que j’écrivais plus haut. J’écris en effet ceci en écoutant Stéphane Lojkine sur France Culture parler de son essai L’œil révolté (mais est-ce écrire ce que je fais présentement ?). Lojkine évoque en passant le contexte littéraire de l’époque, Grimm, Rousseau, etc. Il cite le nom du baron d'Holbach, nom qui déclenche en moi la machine à souvenirs, quand je lisais Les Confessions et Les Rêveries.      

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Commentaires
U
Merci de parler de Stéphane LOJKINE !<br /> Nous sommes très proches et je l'admire beaucoup. Au fait, vous devez écrire tard, il est passé à la radio aux alentours de minuit .
La Nouvelle Lettre du Jeudi
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