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La Nouvelle Lettre du Jeudi
19 janvier 2008

le noir, la nuit, etc.

Clarté de l’air et printemps enclavé dans l’hiver sur le plateau des Anglades ; c’est Proust, à je ne sais plus quelle page de la Recherche, qui évoque ces fragments des saisons les unes dans les autres qui mêlent si bien le temps, l’entortillent, le font sortir des rails bien sages de la linéarité qui semble être son lot. Je lis la chronologie de Michaux dans le volume de la Pléiade qui lui est consacré. Le poète a vécu à Bruxelles, au 69 de la rue Defacqz. Étudiant, j’ai vécu un temps, là, dans cette rue. J’aimais une fille dont les origines du côté maternel étaient sud-américaines.  C’était il y a longtemps. Le commentaire de Guillaume Cingal me poursuit, et il me semble que je m’en suis dédouané avec beaucoup de légèreté. La noirceur, le noir, l’ombre, la nuit et finalement l’angoisse, et il faut bien l’avouer, la dépression, sont l’une des clés, probables, de mon travail. Le noir manifeste aussi un goût pour l’abstraction et la synthèse. Mon attention, autant que mon intention, est tout entière orientée vers le noir. Le noir est le principe actif de mon travail. Non pas que je refuse la couleur, le noir est couleur dans la conception que j’en ai. Ce n’est pas un souci puriste qui motive le geste ni le mot. Se confronter au noir, comme le graveur se confronte aussi à la résistance du bois, suggère une poétique de la contrainte autant, me semble-t-il, qu’une manifestation de la dépression. Il est vrai néanmoins que, parfois, ce n’est pas une règle, je dois « descendre » dans des gouffres d’angoisse avant d’être capable de dessiner et de graver. Les pages les plus fortes du Château sont peut-être celles que j’ai tirées de ces descentes introspectives. Je cherche une limite du sens, là où il s’abolit au profit d’autre chose, de quelque chose qui se devine, au mieux, mais qui résiste au sens, qui se refuse à l’image et à la phrase. Je n’ai pas lu le livre que Gérard-Georges Lemaire a consacré au noir. Mais une chose est de connaître ce qu’il en est du noir dans l’art, une chose nécessaire assurément, une autre est de sentir combien le noir traverse, soutient, porte, empêche, détruit et construit. À Paris, j’ai vu un Soulages, un tableau dont le noir était d’une clarté très vive. C’était un noir ordonné et franc, épais. Trop bien rangé à mon goût, mais présent néanmoins, apaisant. Le noir, de mon point de vue, est moins une fin qu’un début. Au commencement est le noir. Ou pour mieux dire, le noir m’est tout.

Je ne veux pas exagérer l’emprise du noir cependant. L’air transparent qui éclaire cette journée m’est bien plus agréable que les jours passés, gris et mornes quand les heures se traînaient comme des chiens malheureux. Un mot encore du noir malgré tout. C’était à Beaubourg – je venais de longuement regarder La tristesse du roi, le collage grand format de Matisse – au détour d’une salle, le Carré noir de Malevitch me saisit alors le regard. Après la symphonie colorée de Matisse, cette concentration de noirceur, cette synthèse radicale de la chose artistique, fut la source d’un choc qui déclencha en moi une fascination durable et quasi définitive pour l’artiste russe et son œuvre. Depuis, je n’ai cessé de considérer ce Carré noir non pas comme un terminus de l’histoire de la peinture, selon le schéma moderniste, mais comme le début d’une nouvelle ère, un socle pour mon travail. Le Carré noir est, dans la conception que je m’en fais, un appareil de projection qui projette dans l’avenir un rayon de lumière sombre, rayon auquel on ne peut pas ne pas répondre d’une manière ou d’une autre.

C’est l’heure où les ombres s’allongent. Une lumière jaune, dorée, teinte le chambranle. Quelques nuages filiformes se tiennent au dessus des Trois Quilles et du St-Guéral. Une fenêtre et une bibliothèque, que faut-il de plus pour écrire un journal ?

À peine quelques instants plus tard, le jaune est plus dense, plus vibrant. Le battant du volet sur lequel la lumière s’attarde est parfaitement immobile, mais il dit bien le temps qui passe ici ; un temps de pierres, d’arbres secs et solides. Dans les  combes, les chardons sont les rois. Le long de la route de Montdardier, un abreuvoir de pierre paraît contenir le temps inamovible. Ça y est, le jaune est passé, un vieux rose le remplace. Le soleil, à l’ouest de Blandas, s’abîme derrière l’horizon,  Il n’y a plus que du blanc et un gris presque noir.      

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Commentaires
A
Âme noire, noire de coups, noircis d’un sang d’encre le tableau noir d’une noire destinée où se trament de noirs desseins sachant que la bête noire n’est pas si diable qu’elle n’est noire. Les ongles en deuil faute de savon noir, travaille au noir le sang noir de ta pierre noire. Oui, broie ton noir, charbonne-le de magie noire et, dans ton humeur noire, sans lui jeter un regard noir tel au mouton noir ; mais surtout, de t’éviter toute bile noire prie la vierge noire. Mange alors ton pain noir, dans le soleil noir du trou noir de ton cauchemar noir de monde ; il s’effacera dès le petit noir, acheté au noir, comme dans les romans noirs où il fait noir comme dans un four.
D
Je viens de lire, je ne sais plus où, que Michel Pastoureau s'apprêtait à sortir un livre sur la couleur noire, ainsi qu'il l'avait déjà fait pour le bleu. Ce sera, je suppose, traité dans la perspective historique qui est la sienne, mais ce devrait néanmoins être susceptible de vous intéresser...
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