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La Nouvelle Lettre du Jeudi
20 novembre 2007

Le Prince

« Car les hommes sont beaucoup plus saisis par les choses présentes que par celles du passé et quand dans les présentes, ils trouvent le bien, ils en jouissent et ne cherchent rien d’autre ; et même ils feront tout pour le défendre pourvu que dans les autres choses il ne se manque pas à lui-même. » Ce que dit Nicolas Machiavel des princes de la Renaissance, il me semble qu’on peut très bien l’appliquer à l’existence en général. Mais ce n’est pas la philosophie politique de Machiavel qui m’intéresse le plus, même si j’entrevois dans cette pensée des pans entiers de réalité que je n’avais encore jamais envisagés ni pris la peine d’examiner. Ce qui fait vibrer en moi la corde sensible du narrateur, c’est  le contexte dans lequel Nicolas Machiavel entreprend son œuvre magistrale. C’est un homme déchu. Il est appauvri. Il a connu la prison et la torture. Il a été soupçonné d’avoir participé à un complot. Il a pour ainsi dire tout perdu. Il se retire avec sa famille dans un petit bien où il vivra de peu, nous dit son biographe. C’est dans cette situation de déclassement social, et ayant connu la cruauté la plus vile, que cet homme se met à écrire l’une des œuvres qui comptent le plus dans l’histoire philosophique et littéraire de l’Italie et de l’Europe. Je vois un lien entre la déchéance sociale, non voulue mais assumée, et la décision d’écrire. Un homme qui n’aurait pas connu cette catastrophe dans l’existence n’aurait pas senti la nécessité urgente et impérieuse d’écrire. L’écriture entretient des rapports complexes avec l’échec social. Un homme qui a tout et le perd se met à écrire. Il y a de nombreux exemples qui montrent que l’échec social n’est pas une condition déterminante de la décision d’écrire (Proust, Larbaud). Dans le cas de Machiavel, néanmoins, il paraît évident que s’il n’avait pas connu cet échec douloureux jusque dans sa chair, il n’aurait pas écrit l’œuvre qu’il a écrite. Remarquable absence de rancune dans cette œuvre. L’homme qui écrit « Le Prince » est pourtant au plus bas. Quelques siècles plus tard, Kafka thématisera ce lieu dans son œuvre (cf. les souterrains, les animaux, l’insecte, la cave, etc.). L’écrivain moderne écrit dans les caves. Peut-on voir dans la situation de Nicolas Machiavel la naissance de la conscience moderne de l’écrivain  qui écrit dans le lieu le plus bas ? Et peut-on voir plus largement dans cette conscience du plus bas l’une des conditions de l’acte scripturaire moderne ? Je ne suis pas le premier à émettre l’hypothèse. Et peu importe d’ailleurs ces considérations, car seul importe ce qu’a vécu Nicolas Machiavel et ce qu’il a écrit à cause de ce qu’il avait vécu. La tâche d’un narrateur serait de donner un existence littéraire à cette déchéance sociale qui a motivé cet acte rédempteur que fut l’écriture du « Prince ».

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