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La Nouvelle Lettre du Jeudi
29 août 2008

Le livre du sommeil

C’est dans mes lieux de méditation à ciel ouvert, au sommet de la colline, en ses plis pour mieux dire, qu’il m’est enfin apparu combien j’étais sot de me laisser abattre par la somme de soucis administratifs et financiers qui n’ont cessé de s’accumuler dans le même temps qu’une indifférence et un grand silence plombaient mon travail. Qu’importe l’administration et qu’importe l’indifférence ! Plante tes dents dans la dure croûte comme dit Dante ! Il n’y a pas d’avance, ajoute-t-on souvent en ma mère patrie.

Seul, dans les plis, je ne l’étais guère. Il y avait les pierres arrondies par le temps et la pluie, usées jusqu’à se fendre et s’alvéoler. Les chardons bleus exprimaient leur dernière ardeur ; le roc blanc à son habitude s’interposait entre nous : le vent, les pierres, les chardons, moi, et la Méditerranée. Du haut de ce roc, tous les vertiges se rassemblent et font plonger le regard dans la plaine jusqu’à Montpellier que les hautes barres des banlieues signalent ; puis c’est dans une brume pâle le frisson argenté de la mer.

J’étais d’autant moins seul que j’avais emmené Le livre du sommeil de Marcheschi (prononcer Markeski). Livre duquel j’extraie cette citation qui s’accorde on ne peut mieux avec le site où je lisais cette phrase : « Cette faille dans le discours, ce pli d’imaginaire dans le verbe, ces barbarismes quelquefois dans la syntaxe, ces incohérences, souvent aussi, qui creusent la sphéricité d’une œuvre, sont responsables de sa pérennité dans le temps. Ils constituent mystérieusement des points incandescents et irréductibles – des blocs d’ombre – qui font que des objets historiquement, géographiquement, culturellement si éloignés de nous, continuent encore – et quelquefois à des siècles de distance – à nous émouvoir». C’est comme si je m’étais assis au milieu de cette phrase et que les mots eussent été les rochers, les buis secs, les chardons et l’herbe jaune qui se balance au vent.

J’aime que le peintre de la nuit et de la flamme convoque les siècles. Quant aux siècles, je n’avais qu’à me baisser pour les toucher, innombrables, pétrifiés dans les ammonites, spirales solidifiées que la masse calcaire régurgite chaque jour et que les brebis concassent nonchalamment tout le long de leurs chemins étroits et labyrinthiques. 

Sur la colline, en arrivant au sommet, j’ai traversé des buissons secs qui m’ont fait penser aux malheureuses âmes des suicidés dantesques transformés en arbrisseaux cassants et dégoulinant de sang.

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