Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Nouvelle Lettre du Jeudi
6 mai 2008

Pollock, suite II

La personnalité de Pollock, aussi contradictoire et antipathique est-elle, exerce néanmoins une attraction à laquelle il est vain de résister. Dans ma lecture de sa biographie, je suis arrivé au moment capital de sa retraite à East Hampton et de l’invitation de Lee Krasner faite à Clement Greenberg de passer quelques jours avec Pollock. En fuyant New York, le peintre retrouve la nature, et il semble que ces retrouvailles aient été bénéfiques ; elles ont en tous les cas été le prélude aux chefs d’œuvres.  Dans le travail d’un artiste, tout prend du sens, rien n’est anecdotique. Le déménagement à East Hampton permet en effet à Pollock d’expérimenter une façon de travailler qu’il n’avait fait qu’entrevoir à New York. À East Hampton, le peintre aménage une vieille grange. Détail intéressant, il aurait désiré que celle-ci fut totalement obturée, mais les planches que le temps avait travaillées et déformées ne le permirent pas. Si Pollock désirait un lieu parfaitement clos, c’est qu’il craignait, dit-il, d’être distrait par la beauté du paysage. Dans cette grange aménagée en atelier, l’artiste peut poser au sol ses immenses toiles et tourner autour de manière à annuler la traditionnelle partition haut bas et droite gauche. Ici, l’on peut conjecturer (conjectures gratuites et pour le plaisir de les poser) que New York n’eut peut-être pas permis une telle découverte, ou l’eut retardée (ce qui étant donné la vie brève de Pollock eut condamné la trouvaille à ne pas exister tout simplement et le peintre n’aurait pas été celui qu’il est devenu).

Pollock a connu des moments de bonheur, tout de même ; et il est très probable que ces moments se déroulèrent à East Hampton. Il passait de longues heures dans la nature, avec la nature. Si l’on veut mesurer et sentir le changement de l’art dans son rapport à la nature, il faut citer le peintre américain qui aurait dit : « je suis la nature». Curieuse exclamation aux allures cartésiennes comme le relèvent les biographes.  Curieuse pourquoi ? Parce que, depuis le début de la modernité, le rapport à la nature a toujours été présenté comme un rapport d’aliénation et de rupture. Le peintre prend donc à contre-pied ce dogme. C’est à la fois très simple et très complexe. Très simple, car il n’est pas très difficile de comprendre ce que veut dire Pollock, et cependant, il est peu aisé de clarifier le changement de paradigme qui se joue dans cette phrase.

Comme d’habitude je suis pressé par le temps et je ne peux pas creuser ici le sens de ce changement. Je me contenterai de noter que lorsque Pollock se définit en tant que participant pleinement à la nature, il met fin officiellement à l’histoire de la peinture de paysage. Le peintre n’est plus désormais devant la nature, mais
dans  la nature, dans son processus même. C’est peut-être là une césure qu’il convient aujourd’hui de réévaluer de toute urgence. Une conséquence première est la nécessité de repenser le tandem culture vs nature et art vs culture. Ou dit autrement, la fusion du peintre avec la nature impose de changer le rapport avec l’art, et sans doute de changer elle-même la notion d’art. 

J’en reste là. Il pleut à verses aujourd’hui.   

Publicité
Publicité
Commentaires
La Nouvelle Lettre du Jeudi
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité