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La Nouvelle Lettre du Jeudi
5 mai 2008

Pollock, suite

Hier se terminait la session « BBB », j’ai rédigé dans la foulée un premier état du protocole de la performance dite, à défaut d’autre appellation, du « cheval en toile de jute ». La session a été un succès dans la mesure où elle a permis de dégager une base de travail cohérente et remplie de perspectives. La maison a retrouvé son calme et sa solitude et j’écris ces quelques mots avant de reprendre contact avec les divers dossiers en souffrance (j’ai parfois l’impression que ma vie entière n’est plus que dossier en souffrance…).

Jackson Pollock continue de me fasciner, du moins sa biographie rédigée par un tandem très efficace autant dans le rythme de la narration que dans le choix des anecdotes et les discussions quant aux hypothèses contradictoires qui émaillent la vie d’un artiste comme Pollock. Que cet homme soit devenu l’un des artistes les plus réputés du vingtième siècle  continue de m’étonner (faible mot). Comment cet ivrogne si peu cultivé en apparence a pu s’imposer comme un grand artiste ? Certes, il fallait à cette forme d’art le tempérament d’un homme en contact quasi direct avec son inconscient et la pulsion ; mais la pulsion même lorsqu’elle mène la danse ne peut éviter de s’inscrire dans un tissu réflexif et réfléchi.  Une partie de la réponse à la question tient aux rencontres de Pollock avec divers autres artistes ou amateurs éclairés qui ont pu l’initier à cette réflexion sans laquelle la peinture ne peut être tout à fait un art. Réflexion est peut-être un terme inapproprié et sans doute faudrait-il mieux écrire « conscience ».
Si l’on s’intéresse par exemple à la façon dont la fameuse technique du dripping est apparue dans la pratique de Pollock, on s’aperçoit qu’elle ne s’est pas auto-constituée mais qu’elle provient d’abord d’une combinaison d’éléments : un air du temps surréaliste du New York des années quarante, un apprentissage rencontré dans  l’atelier de Siqueiros et enfin les tâtonnements de Pollock lui-même.

Lire cette biographie, c’est forcément lire et comprendre sous un certain angle une histoire qui s’est jouée à New York pendant la guerre : le transfert du pôle magnétique de l’art de Paris vers New York. Transfert qui ne s’est pas fait sans mal, il suffit de lire les paragraphes qui concernent les surréalistes européens et leurs rapports tumultueux avec leur nouveau pays d’adoption. Breton, par exemple, refusa d’apprendre l’anglais. Les artistes européens tenaient la dragée haute aux américains, et peu, à ce qu’il semble, virent venir la révolution copernicienne qui venait et qui allait faire basculer le pôle de l’art. La forte teneur littéraire du surréalisme français et européen empêcha les artistes de se dégager des dogmes de l’automatisme prônés par Breton. Finalement, c’est en échappant à la lourdeur littéraire du surréalisme que Pollock parvient à imposer une autre pratique de l’automatisme : un automatisme lié plus spécifiquement à l’espace et au champ de la toile. Seul un artiste américain ayant perçu, vécu, senti dans sa chair la topographie américaine a pu offrir une alternative à l’ensablement surréaliste.

À ces circonstances, il faut ajouter la guerre et le patriotisme américain ; celui-ci a porté Pollock et lui a été profitable. Il semble également que Lee Krasner ait très bien géré la promotion des œuvres de son compagnon, et de mauvaises langues ajoutent que, aussi ivrogne et grossier qu’il fut, Pollock ne ratait jamais l’occasion de saluer un critique ou un amateur potentiel de sa peinture. Ce qui ressort en tous les cas, c’est que rien n’aurait pu advenir si des personnalités comme Peggy Guggenheim  ne s’était pas intéressées aux toiles de Pollock (il y eut pour que celle-ci daigne accorder son attention à l’artiste une série impressionnante d’intermédiaires dont Mondrian et Duchamp (qui jugea que les toiles de l’artiste américain n’étaient « pas mal »)).

Rien ne se fait sans un  solide carnet d’adresse depuis que l’art est devenu un bizness. C’est affligeant, mais c’est la réalité. Les quelques remarques à ce propos d’Olivier Meessen, le directeur de la galerie "Absens" ne laissent que peu de champ au romantisme de l’art. La réalité est que l’art et la spéculation se sont étroitement entremêlés. La question de savoir s’il faut ou non entrer dans ce marché est une question proprement diabolique. D’une part, il s’agit de vivre (et de faire vivre sa famille) et d’autre part, il s’agit de ne pas sombrer dans la toile d’araignée du marché. C’est pourquoi il faut travailler avec des institutions libres de toute attache envers le marché de l’art : bibliothèques, hôpitaux, écoles, etc. Mais ignorer le marché de l’art n’est pas tenable, ne serait-ce que parce que ce marché est aussi un lieu pour montrer les œuvres. Ou bien, il faut, à l’image de Warhol, sans sombrer dans le cynisme d’un Damien Hirst, soutenir que l’art est aussi un bizness. Faut-il diaboliser le marché de l’art ? Le fait est que l’on n’existe pas totalement aux yeux de la société comme artiste tant que le marché ne vous a pas fait une place, fut-elle menue.

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Commentaires
M
Oui, diabolique. Un artiste comme Serge Vandercam n’a jamais levé le petit doigt pour se faire un nom à l’égal de Jorn, Appel, Alechinsky et d’autres. « On » est toujours venu le chercher. Nicolas de Staël l’avait pressenti comme peintre, il a connu tous les grands, il a même beaucoup voyagé. Il a aimé qu’on aime sa peinture mais, contrairement à Alechinsky, il a toujours joui-souffert ( ?) de… belge modestie. Il a été un homme heureux. Mais c’était un autre temps. Il y a encore « un autre temps », à côté … Pour combien de temps ?<br /> Merci pour ce splendide texte.
La Nouvelle Lettre du Jeudi
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