Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Nouvelle Lettre du Jeudi
29 mars 2008

Les fadeurs au musée

J’étais, hier, au musée Fabre. Je n’avais pas encore eu l’occasion de découvrir les résultats des travaux qui y avaient eu lieu. J’étais séduit. Je l’étais d’autant plus que se trouver en présence de tableaux et de la peinture au fil des siècles m’est depuis toujours une source de régénération. Nul autre remède que celui-là ne convient à mes humeurs sombres. Très tôt, je veux dire dès que l’art fut devenu pour moi la principale raison d’être, j’ai arpenté les musées. Je passais de longues heures au musée d’art moderne de Bruxelles (qui n’est pas un bien grand musée mais où quelques pièces valent le détour) ; j’y ai appris à apprécier Wouters, Permeke, Magritte, Alechinsky et Broodthaers. Mon goût pour Alechinsky et Magritte a changé. Je garde le goût de quelques Magritte, et j’aime surtout ses photographies. Le surréalisme belge, non pas par patriotisme idiot, a toujours gardé pour moi sa saveur. Nougé m’est cher. Je partage sa disposition à la discrétion. De Broodthaers, j’ai le souvenir de ces grands cahiers aux rythmes noirs et blancs qui transposent le poème « Un coup de dès » de Mallarmé.

Le poème de Mallarmé me ramène au musée Fabre. En effet, un film de Man Ray y est projeté, « Mystères du Château du Dé » ; personne ne le regarde, c’est bien dommage. Je reviendrai au film de Man Ray, je continue la visite. Parmi tous les tableaux que j’ai vu, c’est Degas qui emporte la palme. Un rehaut de jaune citron vibrant placé au bon endroit, tel est l’art de Degas, un mélange d’adresse et de maladresse. Un laisser-aller savamment orchestré, une couleur triturée, remuée, grattée, un dessin à nul autre pareil dans l’énergique élégance et l’ébauche arrêtée au moment ad hoc. Mais j’ai aimé aussi, et m’y suis arrêté longuement, un Brueghel, une rixe de paysan sur fond de village tranquille. À l’avant-plan, sur la gauche, un tonneau semble à deux doigts de débouler dans l’espace du spectateur. Sur la droite, un banc est retourné et exhibe des pieds tordus comme le ferait un animal blessé à mort. Au sol, des cartes ont été semées. Elles sont sans doute la raison de la dispute : il devait y avoir un tricheur ou un mauvais perdant dans cette bande de paysans. Le rouge du paysan qui reçoit un coup de bâton sur la tête est encore aussi lumineux qu’au premier jour. Les trognes de ces figurants m’ont fait penser à ce qui se faisait dans l’Allemagne de Weimar. J’ai songé à Dix et à Grosz. J’ai vu des Delacroix, des Monet, des Courbet, un de Staël, un Fromentin, un Géricault, des Bazille. Un tableau de Natalia Gontcharova m’a beaucoup plu, « Larionov et son ordonnance », par sa vigueur et sa manière tranchée, brutale. Dans l’arrondi des manches blanches de Larionov, il y avait un peu de Malevitch. Un immense tableau situé sur un palier qui mène dans les salles du haut m’a retenu à cause d’une femme très banale assise sur un banc et qui regarde éternellement passer les visiteurs du musée. Son regard a croisé le mien. Une toile d’un second couteau de la peinture, un portrait d’une dame âgée occupée à coudre, m’a interloqué par la ressemblance de cette dame avec ma grand-mère maternelle. Je n’oublie pas que la branche maternelle de ma famille a du sang sudiste qui coule encore dans les villages d’Aoste en Italie. Il y a de nombreux italianisants, ces Flamands qui ont fait leur gloire à Rome, on peut voir des paysages très nombreux. Des arbres immenses et parfois des ruines, avec dans un creux de vallées, sur un bord de chemin ou perdu sur les bords d’un lac, des personnages qui cherchent on ne sait quoi, le bonheur peut-être, être là tout simplement. Il y a aussi de grandes croûtes, des grandes machines mythologisantes, des révélations du Saint-esprit, sans l’art de Rubens. Et comme Rubens est présent aussi dans le musée, des petits formats certes, l’on peut comparer.

Lassé de ces grandes choses pleine de vent, de fumée et de nuages, je me suis assis et me suis laissé hypnotiser par le film de Man Ray. Certaines choses nous paraissent naïves, et l’on sent que la caméra est quelque chose qui se découvre, qui s’essaye au regard. Mais quelle liberté et quelle présence faite à la poésie au sens formel de quête de son sujet, quête de sa forme, quête de ce que pourrait être ce qui n’est pas encore… On retrouve dans le « Vampyr » de Dreyer une inventivité semblable.

Terminons ces fadeurs déjà bien longues en évoquant les tableaux noirs de Soulages dont l’un surtout a agi sur ma sensibilité. C’est un tableau qu’une grande masse noire, d’un beau noir profond, hante sur la droite tandis que, sur la gauche, elle se disloque comme ces mots et fait place au vide, au blanc de la toile. 

Publicité
Publicité
Commentaires
S
comme il y a quelques années déjà je bois , je vois j'admire cette façon d'aborder l'art et de la partager d'en parler.
La Nouvelle Lettre du Jeudi
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité