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La Nouvelle Lettre du Jeudi
27 mars 2008

Le corps des Fadeurs

"- Monseigneur vous adresse ses salutations… commença-t-il.
-    François-Joseph Supersaxo descendant en droite ligne du célèbre Georges ?
     Quand il lui venait des visites de la capitale, le doyen, se sachant soupçonné — Dieu sait de quoi ? —, leur opposait toujours une mine de verglas, regardant l’intrus de biais.
     Il se souvint brusquement que les grilles du vicariat étaient ornées de petits monstres de fer forgé et il ne put réprimer un sourire qui le remit d’aplomb. Mais le vicaire insistait pour qu’on lui apportât le tableau."

Plus j’avance dans le roman de Corinna Bille et plus je suis sensible à sa manière de mettre en scène son sujet. Dans cet extrait du roman (ou longue nouvelle, je laisse une porte ouverte à ce débat sans fin qui permet de distinguer la longue nouvelle du court roman), quelques éléments attirent mon attention.

Le nom d’abord du descendant du « célèbre Georges » : François-Joseph Supersaxo. Loin d’être une invention, comme je l’ai cru dans un premier temps, ce nom était trop beau pour être vrai, il s’agit, quant à Georges, d’une personnalité en effet « célèbre » du Valais, voilà ce qu’en dit la notice sur Wikipedia : « Georges Supersaxo ou Jörg auf der Flüe (né en 1450 à Ernen, mort en 1529 à Vevey) fut une personnalité importante de l'histoire valaisanne du XVIe siècle. Georges Supersaxo était le fils du prince-évêque Walter Supersaxo. Il fut opposé à Jost von Silenen, l'évêque de Sion puis à puis à Matthieu Schiner ». 

Un second fait mérite aussi qu’on le relève. Primo, le prêtre se croit soupçonné ; mais de quoi ? On ne le sait. Ce qui importe, c’est que le prêtre éprouve la sensation d’un regard posé sur lui, d’un regard soupçonneux. À ce regard, il est intéressant de noter qu’il oppose une « mine de verglas », or l’on sait les vertus réflexives de la glace, autre nom possible du verglas, nom qui rime sémantiquement parlant avec le miroir. Un second élément s’ajoute à cette ouverture de la réflexivité au sein du paragraphe : le prêtre en réponse au soupçon regarde l’intrus de biais. Cette fois, tout se passe comme si le dispositif textuel procédait de la sorte : le texte via le prêtre suggère qu’il est observé, soupçonné, par un « intrus », en réponse, le texte, à son tour, regarde « l’intrus », mais de biais. Ce regard de biais s’explique aisément si l’on considère que ce regard ne peut opérer directement mais doit impérativement passer par le texte, c’est-à-dire par un biais. Encore plus intéressant, le paragraphe en reste sur ce regard de biais et saute via un souvenir à une situation où le prêtre devient lui-même le spectateur : un spectateur occupé à regarder des personnages en fer forgé. Ce glissement subtil induit dans le texte un rapport entre la situation première du prêtre soupçonné, regardé par l’intrus (le lecteur peut-être) et la situation seconde, le prêtre regardant les personnages de fer forgé. Il s’agit donc de la mise en scène, une très belle mise en scène, de cette figure que l’on appelle la mise en abyme. Une figure, il va de soi, n’est rien tant que l’art du prosateur ne s’en n'est pas emparé pour la travailler dans une matière verbale et textuelle.

Soit, ce qui m’intéresse présentement est moins la figure que l’art de Corinna Bille qui, au fil des pages, construit une méditation sur la représentation et sur l’écriture de cette représentation. Je suis très sensible à l’art de cet écrivain. Il y a une noirceur et une rugosité qui font de ce roman un diamant sombre et brut.

Ce billet et cette fadeur du jour est déjà bien longue, mais je suis obligé d’écrire encore quelques phrases. Le lecteur de ce blog aura constaté que j’ai changé la taille du corps du texte. Sensible aux remarques qui, curieusement, sont faites sur le blog de Didier Goux (mes salutations les plus amicales) à propos de la lisibilité rendue caduque du fait de la petitesse du corps textuel, j’ai opté pour une taille moyenne (qui m’effraie pourtant, je la trouve « limite vulgaire »).

Je dois aussi répondre, même si je le fais plus ou moins de biais, à la remarque quant au fait qu’ici l’on n’enfonce pas des portes blindées (
en paraphrasant quelque peu je reprends les termes  du commentaire qui est posté sur le blog de Didier Goux).

J’abonde dans le sens de ce lecteur exigeant. Il serait exagéré de ma part de réclamer une quelconque originalité, et, que Renaud Camus me pardonne, je ne me conçois guère que comme un Camus à la petite semaine, un second, voire un troisième couteau. Quelle est alors la raison d’être de ce blog ? Et pourquoi persévérer ? Pour une raison toute simple, c’est que, en écrivant dans cette marge, je tente d’éclairer ma propre lanterne. J’essaye de clarifier par l’usage de la prose des idées qui me viennent du dehors. Et puis, il y a ce désir de donner à cet atelier-salon un air de lieu de veille, de lui procurer un peu de présence (et comme dirait R.C. autant d’absence).

C’est peut-être le Lingas et le Barral qui sont en réalité les maîtres de ces phrases. Et tous les écrivains que je lis dont je me contente de faire l'écho sans trop songer à forcer quelque porte, qui serais-je pour cela ? Je n’ai rien écrit de sérieux, je n’ai pas d’œuvre écrite, j’ai à peine gravé un livre et sur le marché de l’art, mon nom est égal à zéro. Alors, enfoncer des portes blindées… Au nom de qui et de quoi ?

Voilà que je prends une « mine de verglas ». Il est donc temps d’en finir avec ces fadeurs du jour.

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Commentaires
P
Je trouve que tu es très gentil de changer la taille de ta police simplement parce que quelques personnes invoquent sa petitesse pour se justifier de ne pas dépasser le cap le deuxième paragraphe ici. Je n'ai pas de bons yeux (ni toi, il me semble) pourtant je n'ai jamais eu le moindre problème de lecture ici.
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