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La Nouvelle Lettre du Jeudi
3 septembre 2009

À propos des "Dépositions smithoniennes" de Clark Coolidge


La poésie, perdue à tout
Jamais, doit se soumettre à sa propre vacuité : elle est
Un produit de l’épuisement plutôt que de la création.
La poésie est toujours une langue mourante, mais jamais
Une langue morte.


Clark Coolidge, Dépositions smithoniennes, p.34.


Le domaine de la poésie américaine pour le lecteur francophone qui ne pratique pas la langue anglaise est une terre inconnue qui regorge de textes qui lorsqu’ils sont traduits, enfin, sont comme des révélations, des promesses de transformations radicales du sens même de la poésie et du sens même de l’existence pour peu que l’on considère que la poésie est porteuse de sens et que sa lecture nous transforme (elle me transforme moi en commentateur occasionnel, elle influence aussi mes productions graphiques, c’est peu et c’est déjà pas mal néanmoins). De Clark Coolidge, poète américain, on ne sait donc que ce que Guillaume Fayard écrit dans son excellente postface. Coolidge est un géologue, ex-batteur de jazz, un auteur prolifique semble-t-il (ce qui renforce la frustration, frustration de ne pouvoir le lire in extenso par défaut de connaissance de la langue américaine), il est né en 1939 et vit à Petaluma en Californie. Il a fréquenté le peintre Philip Guston avec qui il a entretenu une correspondance. C’est lui qui a compilé les écrits de son ami peintre.

Le livre de Coolidge publié par l’éditeur Les petits matins et traduit par Guillaume Fayard se présente sous la forme d’un diptyque. Le premier volet du diptyque est un centon, forme poétique qui consiste à récrire un nouveau poème en assemblant des fragments d’autres poèmes, d’autres textes, faire du neuf avec de l’ancien en somme. On trouve la liste des textes qui ont permis d’écrire les Dépositions smithoniennes à la fin du poème. On s’aperçoit immédiatement grâce à cette liste que le centon selon Coolidge est un centon novateur dans la mesure où il intègre non seulement des éléments textuels mais aussi des éléments cinématographiques (Godard et Robbe-Grillet, et tous les films évoqués par la liste des titres de la page trente-six à la page trente-neuf ). Le centon est une forme pratique pour Coolidge car primo elle lui permet de mettre d’emblée en évidence la problématique de montage et de démontage qui est la sienne et secundo, elle induit quasiment par définition une logique de la fracture (les fragments assemblés sont des morceaux prélevés et en un sens brisés) et de la sédimentation (accumulation d’éléments de sources diverses qui finissent par devenir une couche homogène). Deux aspects qui mettent en évidence la conception géologique du langage poétique de Coolidge. La géologie nous apprend que le sol est stratifié, composé de couches hétérogènes, pliées, dépliées, formant tantôt un synclinal et tantôt un anticlinal. La science qui s’intéresse aux cristaux et à la constitution de la matière paraît être un modèle idéal pour Coolidge qui précisément en tant que poète s’attarde à introduire son lecteur dans la connaissance de la constitution du mot et du poème. En ce sens, la poésie de Coolidge est une poésie didactique, elle l’est aussi à un autre degré.

En effet, si d’une part le poète agence les mots de façon à en exhiber l’agencement, d’autre part, il use aussi de la langue poétique pour démonter les mythes de son temps (et n’est-ce pas là l’une des fonctions centrales de la poésie ?). Ainsi, dans la seconde partie du livre, Coolidge s’occupe de démonter le mythe du film de Spielberg Les dents de la mer. Mais il faudrait se garder de simplifier à l’extrême. Coolidge ne prononce pas une critique en règle du film. Ce qu’il faut bien saisir est d’un tout autre ordre. Car lorsque Coolidge parle du film, il parle en réalité du poème, de la langue mourante du poème. S’il est expliqué au lecteur en long et en large que le requin que nous voyons sur l’image est la conséquence de l’assemblage de plusieurs plans filmés chaque fois avec une partie différente de requin, cela renvoie certes à cette réalité qui a existé, mais à un autre niveau, cela renvoie à la constitution du poème lui-même assemblage de mots, etc.   

Je termine cette première note à propos de Coolidge en soulignant le côté narratif du diptyque. Le poème raconte quelque chose, sa constitution, sa fabrication et la vie, tout simplement la vie. Il faut revenir encore sur le rapport du mot et de l'image filmée, du mot et de l'image en général tel qu'il se profile dans le poème de Coolidge, ce sera le sujet d'une notule à venir.


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