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La Nouvelle Lettre du Jeudi
1 août 2009

Le temps de l'absence

La fête passe, et toute chose reprendra demain
Son chemin sur l'étroite terre.

Hölderlin, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, p.831

La grille horaire estivale de France Culture achève cette année la liquidation de l’objet même de cette radio. Cette fois « on » y est presque, les dernières traces de ce qui a été la Culture disparaissent. La parole est désormais aux anonymes, de préférence appartenant à un groupe minoritaire que l’histoire (donc l’homme blanc) a, à un moment ou l’autre, honteusement exploité. Philippe Muray, dans Désaccord parfait, compare le dogme de la Culture avec le dogme de la Science tel qu’il sévissait au dix-neuvième siècle. Encore faudrait-il distinguer « Culture » et Culture.

Car, certes, il y a bien une collusion, une étroite symbiose, entre le goût immodéré de l’homme postmoderne pour la fête et l’exaltation de la Culture, mais cette « Culture », à y bien regarder, n’est, le plus souvent, que la façade d’un art officiel, art qui précisément place au centre même de son dispositif la figure du minoritaire exploité (interchangeable avec le spectateur car celui-ci se reconnaît immanquablement dans celui-là ou est sommé de s’y reconnaître). 

Dans le même temps que la Culture disparaît, une autre la remplace. L’évolution de ces cinq dernières années de la grille horaire de France Culture illustre admirablement ce qui s’est passé : exit la littérature et l’art, place à la sociale-littérature et au social-art.

L’on se trouve donc dans une situation curieuse car, comme Muray le soutient avec brio, on peut en effet dire que nous vivons à l’époque du « tout culturel », bref, pour tourner les choses dans une langue plus philosophique, la culture apparaît comme Totalité, phénomène inouï. L’art qui participe à cette culture et de cette culture, cependant, n’a rien à voir avec l’art d’avant cette emprise totalisante de la culture, de même que cette culture totalisante n’a rien à voir avec la culture d’avant cette emprise.

Pour dire les choses simplement, je dirais que l’art totalitaire contemporain exalte la proximité, promulgue le même comme principe actif de son dispositif, rassure ses contemporains dans leur foi aux dogmes divers qui dirigent désormais nos pensées et nos actes. De même, et France Culture illustre parfaitement cette situation, la culture qui a remplacé la culture place au cœur de son empire et de son emprise l’anonyme minoritaire (le plus souvent non-blanc). La parole de cette figure fade et indifférenciée (sa voix ne peut en aucun cas se distinguer des autres voix car dans ce qui est désormais « notre » culture l’horreur de la distinction règne de façon absolue) a définitivement pris le dessus sur la parole, elle distinguée, des artistes et des écrivains.

Or l’art, le seul, le vrai, le non-officiel, celui qui se pratique de plus en plus dans l’obscurité, a pour fonction d’établir ou de rétablir les distinctions. De même que la culture, au fond la seule authentique, n’a de sens qu’à produire de la différence et de la distinction. Distinction entre l’auteur et le lecteur, distinction entre les arts, distinction entre les formes, etc. L’art qui ne rejette pas loin de lui son lecteur, qui ne maintient pas la distance nécessaire à son expression, à son paraître, à sa lecture tout simplement, n’est pas de l’art, mais une falsification idéologique de la culture totalisante. France Culture arrive au bout de son parcours de rééducation, la liquidation de la culture est quasi achevée, la radio se confond désormais avec ses auditeurs, ses anonymes (mais pas n’importe lesquels, les anonymes auxquels nous devons forcément nous identifier si nous voulons participer à et de cette culture).

La culture d’aujourd’hui, c’est l’absence de la culture, de même que dans le poème d’Hölderlin cité par Fritz Lang dans Le Mépris, le film de Jean-Luc Godard, le dieu des temps modernes n’est précisément que l’absence même de la divinité :

Mais l'homme affronte seul et sans peur son dieu

Quand il le faut, sa simplicité le garde,

                   Sans besoin d'armes ni de ruses, le temps

                                  Que ce manque de dieu se change en aide.

          

C’est avec et contre cette absence de la culture que l’artiste doit persister dans son œuvre, sans savoir si demain encore il existera des lecteurs et des spectateurs pour lire et voir ce qu’il aura créé en ce temps qui n’est pas un temps de déclin, trop facile explication, mais un temps de l’absence. 

 

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Commentaires
R
tout fut scientifique.<br /> tout était politique.<br /> tout est culturel.<br /> tout sera tout.<br /> Notre tout tout.<br /> Quelle fête !
La Nouvelle Lettre du Jeudi
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