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La Nouvelle Lettre du Jeudi
25 mai 2009

Le faire à repasser

Il n’était pas convaincu de la vérité de l’adage selon lequel « le poète naît, il ne se fait pas », mais ce qu’il tenait en tout cas pour certain, c’est que « le poème se fait, il ne naît pas ». C’est tout le programme de la modernité qui se trouve ainsi résumé, synthétisé par le jeune Joyce dans sa première approche du Portrait de l’artiste en jeune homme. L’insistance sur le faire se retrouve chez Duchamp qui définit l’art comme un faire (d’où ce jeu de mot du fer à repasser et de l’utilisation de la Joconde  (ou propose-t-il un Rembrandt ?) comme table de repassage, mais au-delà du jeu de mot, il y a comme d’habitude chez Duchamp une réflexion subtile sur les rapports entre l’art du passé et l’art moderne). On se souvient que Benjamin définit l’écriture essentiellement en termes de marche et donc d’action, etc.

Joyce, dans Stephen le Héros, définit son art comme l’union de la faculté de sélection et de la faculté de reproduction. La parallèle avec Duchamp demeure si l’on se souvient que l’artiste français définissait le faire comme un choix, l’art c’est faire et faire c’est choisir dit-il. Or choisir, c’est sélectionner. Sélectionner un mot, une configuration (un dispositif) syntaxique, sélectionner une règle, une contrainte, etc. En outre cette sélection doit être reproductible. La reproductibilité est un autre critère de la modernité.

Le geste de l’artiste, le phrasé de l’écrivain doivent être reproductibles, pour lui d’abord et pour les autres ensuite. Il ne s’agit pas de concevoir la création, le faire, comme un jeu sans fin de la reproduction, ce qui serait vain et stérile, il s’agit au contraire de saisir que dans ce principe de la reproduction ou reproductibilité, il y a implicitement affirmée l’idée de la reprise. Ce qui est reproductible peut être repris par qui le désire.

Cette reprise est certes sur le plan du principe ouverte à tous et potentiellement pour tous. Néanmoins, cette participation collective et démocratique à l’œuvre suppose un peuple d’esthètes et plus modestement suppose une éducation  ad hoc. Ce qui est loin d’être le cas. Le nombre de personnes capables non pas du fait de leur intelligence mais du fait de leurs connaissances d’emboîter le pas de Joyce ou de tout autre écrivain qui compte dans le domaine littéraire, ne doit pas être bien élevé et pourrait l’être de moins en moins.

Qui dit reprise dit aussi relance. On peut, et il convient de le faire, critiquer la modernité (je suis très généreux dans ma définition de la modernité estimant qu’elle ne cesse de s’inachever encore et toujours). Cette critique néanmoins ne peut en rester aux aspects spectaculaires et superficiels, il faut aussi souligner ces plus modestes réussites, ces plus modestes avancées.

Ce billet ne peut se terminer sans que je signale une méprise de ma part. J’avais écrit que la situation de pauvreté littéraire de l’Angleterre de la fin du dix-neuvième siècle était soulignée par Forrest Read, le préfacier de la correspondance de Pound avec Joyce, il n’en est rien, c’est en réalité Jacques Aubert qui en parle (Bibliothèque de la Pléiade, James Joyce, tome I, p. XVI et XVII). Aubert rappelle notamment que l’on a dit cruellement de George Bernard Shaw qu’il avait été la grande figure littéraire d’une société qui n’avait à peu près aucun intérêt pour la littérature,…

Rien à ajouter.

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