Hivernales et Nouvelles Solitudes
C’est l’aube, mais la nuit règne encore sur le causse enneigé. La neige continue de tomber. Le feu crépite. Image d’Épinal. Je ne sais si écrire ainsi entre veille et sommeil est une bien grande idée. Depuis de longs mois à présent un vif sentiment de défaite que rien ne semble pouvoir abolir me maintient dans un état de quasi inactivité. J’envie les natures que rien n’arrête et qui paraissent regorger d’énergie, toujours prêtes à repousser plus loin les limites de la fatigue pour le plus grand bien de la culture et de l’art. Je ne suis, hélas pour moi, pas fait de ce bois. J’appartiens au contraire à la catégorie de ceux qui ne disposent que d’un minimum d’énergie créatrice, à peine de quoi sortir quelques dessins, quelques toiles, quelques gravures, quelques phrases une fois l’an. Le reste du temps, ou plus exactement, la majeure partie du temps est consacrée à l’attente des jours meilleurs. Quand, à cette disposition calamiteuse, se conjugue une maladresse commerciale et un goût de la dépense…
Remuer cette boue ne sert à rien, du moins à rien d’autre que de laisser paraître à la surface de cette page écranique le désarroi et donc d’en soulager quelque peu le poids sur la conscience.
Ce que je vois par la fenêtre correspond assez bien à ce que je cherche à peindre : lente émergence d’un monde qui se rétracte autant qu’il ne s’affirme. On distingue sans distinguer, on voit sans voir. Blancheur bleutée dans laquelle se creuse un paysage noir et incertain.
Me trouvant une nouvelle fois rejeté aux limites, je suis comme K. ou comme Dante, à la croisée des chemins : « Nel mezzo del cammin di nostra vita… ». On en revient toujours là, immanquablement ; et cette image, elle est de Leibniz, je crois, est bien celle qui dit le mieux ce qui est, je paraphrase : « à peine croyais-je avoir pris le large que je me trouvais rejeté aussitôt sur le rivage ». L’existence n’est que cet éternel retour au rivage. Le large demeure le large, l’horizon l’horizon. On ne quitte Ithaque qu’en rêve. Pénélope nous tient fermement accroché à elle.