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La Nouvelle Lettre du Jeudi
9 octobre 2008

Maverick

« L’architecture, c’est la vie ; ou du moins la vie prenant forme. Par conséquent, rien ne rend plus fidèlement la vie telle qu’on la vivait dans le monde d’hier, telle qu’on la vit aujourd’hui ou telle qu’on la vivra demain .» Il faudrait lire et méditer longuement cette remarque de Frank Lloyd Wright, l’architecte américain dont l’édifice le plus connu est le Guggenheim à New York.

J’ai toujours pensé que les architectes avaient une grave responsabilité dans l’état de nos villes, dans l’état des banlieues, dans l’inhumanité croissante de nos espaces publics, de nos institutions scolaires et en général de tous les sites destinés à être habité par l’homme. Ce n’est pas une fatalité néanmoins : laisser le dernier mot au désespoir et à la rancœur serait bien la dernière humiliation que ce constat démoralisant devrait infliger à notre conscience. À l’heure où la pédagogie française s’apprête à transformer le cours de mathématique et d’histoire en option, il n’est peut-être pas vain de faire un peu d’histoire de l’architecture, l’architecture étant par excellence cet art qui relie les rigueurs de la géométrie à l’imagination spatiale et à la poésie, la poésie comme façon d’habiter.

Pourquoi se tourner vers Wright précisément ? C’est que son architecture offre une vaste réflexion et un ensemble de propositions pour la plupart des aspects de la vie : travail, loisir, vie en commun, urbanisme, …, il y a peu de domaines que l’architecte n’a pas abordé ; il avait une conception globale de l’architecture. Il a même construit un moulin à vent pour une école, l’école de Hillside à Spring Green dans le Wisconsin. Le moulin s’appelait « Roméo et Juliette ». Wright était un poète comme le souligne très bien Robert Harrison dans son livre intitulé Forêts. Essai sur l’imaginaire occidental. À l’instar de Musil se moquant de la société des spécialistes, Wright ne méprisait rien autant que la parcellisation de son art. L’architecte d’intérieur était pour lui une notion absurde.

La poésie de Wright n’excluait pas un bon sens pragmatique puisqu’il fut le premier, si j’en crois son excellent commentateur Robert Mc Carter (le livre est publié par Phaidon), à présenter ses maisons dans des revues populaires, une façon d’aller à la rencontre des futurs habitants. Car Wright, s’il a bâti des demeures prestigieuses au luxe aujourd’hui proprement inimaginable (rien à voir avec la notion people du luxe), a aussi créé des maisons pour les classes moyennes, des maisons accessibles à tous : les maisons usoniennes. Ironie de l’histoire, il ne semble pas que ces maisons aient reçu l’attention espérée, qu’elles méritaient pourtant amplement, de la part de ceux à qui elles étaient destinées.

La maison sans doute la plus significative de l’art de Wright est la maison bâtie par-dessus une cascade désignée sous le nom de Fallingwater. Comme le remarque Robert Harrison, ce qui frappe d’abord, c’est la remarquable discrétion de la maison qui semble se couler dans la forêt qui l’entoure. La maison repose sur les rochers de la cascade et reproduit dans la façon dont elle s’agence les strates horizontales de la roche. Tout se passe comme si la maison perpétuait la nature, comme s’il existait un continuum entre la nature et la construction. Tout dans la maison invite à la vue, aux vues. La lumière inonde les pièces, la roche affleure entre les dalles de pierre du salon. Robert Harrison a raison de souligner que cette construction est aussi un paradigme, un modèle, une utopie.

N’est-ce pas dans cette réserve de futur que l’Amérique devrait puiser aujourd’hui ? 

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