Les oiseaux de Zeuxis
À propos des oiseaux qui picoraient les grappes de raisin si bien peintes par Zeuxis qu’ils les croyaient vraies, Walter Benjamin, dans son essai sur « Le concept de critique esthétique dans le romantisme allemand », a une interprétation géniale qui, je crois, est relativement peu souvent évoquée. Benjamin conteste d’abord que l’on puisse conclure de cette anecdote à un quelconque naturalisme grecque. Il propose plutôt de lire cette anecdote comme une « grandiose périphrase pour dire que la vraie nature est le contenu même des œuvres », ce qui est tout autre chose.
Le développement de Benjamin qui suit cette remarque est une démonstration de finesse intellectuelle et je ne résiste pas à la tentation de le citer. Certains évoqueront ici la bathmologie camusienne, ce que je ne contesterai guère :
« Assurément tout dépendrait ici d’une définition plus précise du concept de ‘nature vraie’, pour autant que cette nature visible ‘vraie’, à laquelle il incombe de constituer le contenu de l’œuvre, non seulement ne doit pas être identifiée sans plus à la nature visible qui se manifeste dans le monde, mais bien plutôt en être d’abord rigoureusement distinguée du point de vue conceptuel ; et qu’à vrai dire se poserait ensuite le problème d’une identité essentielle plus profonde entre la nature visible ‘vraie’ dans l’œuvre et la nature (peut-être invisible, seulement accessible de l’intuition, phénoménale au sens du phénomène originaire) qui est présente dans les manifestations de la nature visible. Ce qui se résoudrait probablement et paradoxalement de la manière suivante : c’est dans l’art seul, et non dans la nature du monde, que la nature vraie, accessible à l’intuition, originairement phénoménale, serait visible par reproduction, tandis que dans la nature du monde elle serait certes présente, mais cachée (submergée sous l’éclat de la manifestation) ».
La notion de nature ainsi que celle de vérité est prise ici dans un tourbillon quelque peu affolant de degrés de sens. On remarquera que dans un premier temps, afin, je suppose, de s’y retrouver lui-même, Benjamin use de guillemets, guillemets qui ensuite tombent, ce qui augmente encore le jeu tourbillonnant des degrés de sens.
Je ne sais pas si l’art possède la "nature vraie" et si jamais il la dit ou l’exprime d’une manière ou d’une autre, mais ce que je crois, c’est que l’art, du moins ce devrait être l’une de ses fonctions, a pour enjeu ce tourbillon même du sens qui nous fait accéder à des différents paliers selon l’angle de vue que nous choisissons pour le saisir.
Tout cela écrit alors que le vent agite nerveusement les branches du néflier et que le Barral, encore lui, persiste dans ses brumes rehaussées de vives clartés, les dernières ardeurs solaires de l’été.