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La Nouvelle Lettre du Jeudi
10 mai 2008

Pollock encore

Les « Irascibles » en prennent pour leur grade dans la biographie de Pollock, ainsi que Pollock, faut-il le répéter. La bande des expressionnistes abstraits prend une allure sinistre de maniaques égocentriques atteints chacun de folie, au point que le lecteur en vient à s’interroger sur le bon sens d’une histoire de l’art qui après coup a mis au pinacle de l’art de tels personnages.

Néanmoins, il convient d’être sur ses gardes. Certes, il semble, à en croire les auteurs, que, pour citer un exemple exemplaire de ce que deviennent les artistes dans ce livre, Barnett Newman n’a fait que recycler de vieilles thèses d’Harold Rosenberg (dérivées elles-mêmes de ce qu’il y a quelques années Schaeffer a appelé "la théorie spéculative de l’art", c’est-à-dire une invention des romantiques pour répondre à l’esthétique kantienne). Clyfford Still apparaît lui comme une espèce de fondamentaliste de l’éthique, et un polémiste querelleur. Le zip de Newman n’a l’air que d’être un truc justifiant un mysticisme mal digéré, et tout est à l’avenant. Même si ce que disent les auteurs est vrai, il n’en demeure pas moins que Newman ni Still ni Pollock ni les autres n’ont pu peindre ce qu’ils ont peint pour des raisons seulement dérisoires et à seule fin de se faire une place sur la scène de l’art. Si c’était le cas, si vraiment les zips n’étaient qu’une illustration d’une fumeuse théorie mystique, si la peinture de Still n’était que l’expression d’un rigorisme moral extrême, alors comment expliquer que ces œuvres se tiennent toujours aujourd’hui et que l’on peut encore les regarder en éprouvant une réelle émotion esthétique (ce qui n’est pas toujours le cas des œuvres abstraites) ?

En réalité, les choses sont plus complexes. Il y a d’un côté les contingences de l’existence : il faut se nourrir, se loger, etc. De l’autre côté, il y a les contingences de l’art : utiliser le noir, peindre un plan vertical et sans profondeur, associer deux couleurs, etc. La logique existentielle ne coïncide pas avec la logique artistique (ce serait trop beau (ou affreusement déprimant)).  L’artiste est placé au centre de ces deux logiques qui le tirent dans des sens souvent divergents et parfois totalement opposés. Il faut trouver des arrangements, des accommodements. Quant au ridicule, ou du moins sa légèreté, de la phraséologie dont usent les artistes à l’occasion pour justifier leur geste, on peut comprendre que décider de peindre des tableaux qui ne représentent plus rien crée une indécision et un malaise ; malaise que les mots peuvent un moment combler. Que ces mots ensuite apparaissent pour ce qu’ils étaient, c’est-à-dire des discours creux, cela, à mes yeux, n’entame pas la qualité de l’œuvre. J’en veux pour preuve l’œuvre de Newman qui, c’est un jugement de toute façon subjectif, me semble toujours très regardable, très présente dans sa teneur picturale et austère. De même que l’attitude déplaisante, scandaleuse, grotesque de Pollock n’entame pas la qualité de ses œuvres les plus réussies.

Ce qui dérange à la lecture d’une biographie, et dans le ton de certaines pages de cette biographie de Pollock, c’est le sentiment que tout cela, c’est-à-dire ce moment incroyable de création de l’« expressionnisme abstrait », n’a été qu’une farce. Ce n’est pas nécessairement ce que veulent dire les auteurs, mais parfois, à les lire, on a l’impression d’une comédie sinistre et féroce de l’art. la vérité de l’art est-elle dans la vie de l’artiste ou seulement dans son œuvre ? Question impossible, délicate, difficile à trancher. Choisir pour l’un ou pour l’autre, c’est choisir un camp idéologique et esthétique. C’est la bataille du subjectivisme contre le formalisme.

Malgré tout, il faut avoir le courage de ne considérer que la chose artistique et laisser tomber le reste. Se placer devant l’œuvre et juger. Ou plus simplement, laisser l’œuvre opérer ou non. C’est finalement l’enjeu ultime : est-ce que ça marche ou pas ? Est-ce que ça opère ou pas ? Le reste, c’est le blabla de l’existence, son bruit, sa fureur, ses impasses, ses manques ; bref, c’est l’humain trop humain.

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