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La Nouvelle Lettre du Jeudi
19 mars 2008

Nouvelles fadeurs

Ces mots s’accordant aux premières mesures du Poème de la forêt  de Roussel ; entrer dans le jour devrait être comme entrer dans ce domaine musical qui soudainement rehausse et inquiète l’instant. Le gel a encore blanchi le causse. On quitte Le voyage d’hiver, progressivement ; les feux du printemps s’allument sur le plateau. On les voit de très loin. Ai-je déjà dit qu’à tout moment, ici, on s’attend à voir surgir une troupe d’apaches de quelque colline qu’une fumée ranime. C’est curieux, ou ça ne l’est pas, Roussel, le compositeur (mais l’écrivain aussi bien), m’a toujours porté ou « inspiré » comme on dit platement. J’apprends beaucoup de la manière avec laquelle il tisse les nappes des différentes lignes mélodiques qui hantent ses compositions. Un jeu de retours, de répétitions, de reprises ne cesse de gonfler les voiles de la partition. La métaphore est marine, mais Roussel, avant d’être un compositeur, était un marin. Et cela s’entend. On perçoit très bien à travers le motif même de la forêt la présence de la mer. Il y a comme une houle, et des orages soudain, de l’écume, puis de très grands calmes, et puis un vent qui se lève. L’on passe des cuivres stridents aux cordes qui se lamentent comme des sirènes avec des accents de mystère et l’on est alors dans les hauts fonds de l’âme et de l’esprit. Enfin, une mélodie lointaine, en sourdine, puis insistante reprend le thème initial. C’est, nue, Vénus, peut-être, qui jaillit de l’écume. Mais c’est la forêt et non la mer ; pourtant le large raisonne entre les troncs ; c’est le vent de mer. Comme chez Proust, un théâtre devient un immense aquarium, mais ici, c’est la forêt qui devient une marine. On a les yeux posés sur la ligne d’horizon. La terre a disparu. Les sonorités de Roussel sont comme des vagues insistantes qui viennent se briser sur la quille de nos sensations. Et voilà la petite musique qui revient, modulée encore, reprise avec des percussions ; elle accélère son tempo avec des accents de triomphe très joyeux. Tout cela brisé par l’aigu d’une flûte toute simple est encore redéfini sur un nouveau mode langoureux ; lascif le mouvement mais honnête les yeux comme dirait Góngora. Puis encore une fois l’inquiétude, et des présences furtives. On est dans une ligne mélodique qui m’évoque certains films d’Alfred Hitchcock. La musique se colore d’images en noir et blanc, de regards et d’échanges entre les cordes et les instruments à vent, des cors sans doute. Je passerais volontiers la journée avec la musique de Roussel et je continuerais encore longtemps à l’accompagner de ses notes, des fadeurs un peu frivoles, mais je dois impérativement (odieux impératif) remercier toutes les personnes qui ont fait en sorte que mon séjour en Chine se déroule au mieux, et d’abord le Consul Général de Belgique à Shanghai (plus important paraît-il que l’Ambassadeur parce que Shanghai accueille plus d’hommes d’affaires Belges que Pékin). Que ces fadeurs demeurent suspendues dans l’air bleu et clair, glacé encore, de cette matinée ; j’entame pour ma part le labeur du jour dans la belle solitude de R. que les sonorités de Roussel rendent plus vivante et moins vaine. 

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