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La Nouvelle Lettre du Jeudi
17 janvier 2008

Région

Une lumière rousse se tenait sur les collines du Barral tandis qu’un début d’arc-en-ciel parvenait à s’esquisser tant bien que mal. De bas et lourds nuages plombés comprimaient ces tentatives colorées. On se serait presque cru à Région. Rimes des pages et d’un paysage. Sur ce plateau désert, il n’y a pas grand effort d’imagination à faire pour s’immerger dans le roman de Benet. L’article pour la revue liégeoise est enfin terminé. Non sans mal, il faut bien l’avouer. Mais bon… Ce matin, dans mon esprit, se lient les œuvres de Benet et de Schmidt, à cause de la carte qui s’inscrit en regard du texte de Région et du texte de Cosmas ou la Montagne du Nord. Les deux textes puisent leur origine dans un dessin. D’une certaine manière, la carte contient implicitement le texte, mais la carte n’est pas le territoire. Combien de textes de Renaud Camus ne naissent-ils pas, eux aussi, de la lecture d’une carte. Il faudrait inventer un genre dans lequel on pourrait ranger les livres qui naissent de cartes réelles ou imaginaires, réelles dans le cas de Camus, imaginaires dans le cas de Schmidt et de Benet.

Le roman de Benet* a attendu dix-huit ans avant d’être publié. Une première esquisse en cinquante et un, mais le texte indique en sa toute fin : Pantano del Porma, 1962. —  Madrid, 1969. Ces deux dates et ces deux lieux laissent rêveurs, bien entendu. Benet était ingénieur. Il écrivait le soir, après le travail. Quelle énergie fallait-il, et quelle croyance en la nécessité de l’entreprise ! Benet s’inscrit dans les pas de Faulkner, comme Claude Simon. Mais Benet et Simon prolongent Faulkner de manière très différente. Pourtant, il y a chez les deux écrivains ce même rapport à l’Histoire. Et il est frappant que l’Espagne occupe aussi une grande place dans l’œuvre de Simon. Notre époque, d’un point de vue littéraire, devrait peut-être tirer des enseignements du climat littéraire qui vit s’épanouir le talent de Benet. C’était au lendemain de la seconde guerre mondiale, et il n’y en avait que pour la littérature engagée et le social. Le préfacier de Tu reviendras à Région relève le peu de romans qui restent de cette période sociologisante et engagée. Benet tourna le dos à cette tendance et développa des aspects plus formels, ce qui contribua à singulariser son œuvre et lui apporta, plus tard, le succès que l’on sait. Toute proportion gardée, notre époque, du point de vue littéraire, ressemble à cette époque qui vit naître l’œuvre de Benet. Nous sommes saturés par le social et par la bonne pensée ; l’engagement du temps de Benet est notre esprit de résistance aujourd’hui. Le mot fleurit sur les lèvres les plus surprenantes.

*Juan Benet est un écrivain espagnol. Il naît le 7 octobre 1927 à Madrid. Il est d’origine basque par son père. Il a une formation d’ingénieur en Ponts et Chaussées.  Il meurt en 1993. Son roman le plus connu, Tu reviendras à Région, a été publié aux éditions de Minuit. Les éditions Passage du Nord/Ouest ont publié récemment Le chevalier de Saxe, Méditations et Treize fables et demie. "L'oeuvre ouvre la voie à une forme nouvelle de récit, fondée avant tout sur les pouvoirs de l'imagination et une grande liberté narrative", écrit son traducteur, Claude Murcia.

Voici un extrait de Tu reviendras à Région, p.32 :

Il ferma d'abord la porte de la cuisine, puis celle du couloir, tira les rideaux décolorés de l'entrée et ferma toutes les fenêtres, réintroduisant dans la maison la puanteur poussiéreuse de la guerre, le parfum aigre des vieilles tapisseries, des chambres inhabitées et des couloirs sombres. Ce n'est pas la mémoire qui hait ; c'est certainement elle qui croit, elle qui, dix ou vingt ans après, se complaît à présenter à une raison sans souvenirs tout un bilan de soirées dans les couloirs, d'espoirs frustrés et d'investissements inutiles ; mieux encore, elle n'a même pas besoin de vérifier le bilan de ces premières et ultimes énergies qui n'hésitèrent pas à sacrifier sa raison pour maintenir l'intégrité d'un être balbutiant, désorienté et abandonné.

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et encore...


 

 


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Commentaires
D
Renseignements pris, le livre dont parle Renaud Camus est "actuellement indsponible", chez Amazon en tout cas.
D
Mais pourquoi est-ce que Renaud Camus parvient à laisser des commentaires chez vous alors qu'il me dit ne pas y parvenir chez moi ? C'est énervant, à la fin...<br /> <br /> Bon, je vais voir ce qui est disponible de VOTRE Juan Benet (après avoir demandé un conseil supplémentaire à mon ami Carlos, tiens...)
R
Je me permets de rappeler aussi, de Benet, le merveilleux "L'Automne à Madrid (en 1950)", l'un des livres les plus "poétiques" (excuse my fingers) que je connaisse.
D
Benet ? BENET ? C'est qui ?<br /> <br /> L'inculte de service (sans ironie)...
La Nouvelle Lettre du Jeudi
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