Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Nouvelle Lettre du Jeudi
28 décembre 2007

Fluviale

L’air rose et bleu se tient bien silencieux au dessus du causse tout blanchi par le gel. On n'entend que quelques oiseaux que l’hiver ne rebute pas. Le soleil commence à peine à rehausser de sa clarté un Lingas aux sommets encore enneigés. France Musique accompagne ces phrases matinales. Je songeais, en relisant avec beaucoup de plaisir Outrepas de Renaud Camus, à quelque chose qui s’apparenterait à un bilan de fin d’année sans que ça en ait toutefois la lourdeur. La note est tout en demi-teinte. Ni  noir ni blanc. Sur bien des points, la connaissance de soi s’est approfondie sans que cette connaissance ne produise un quelconque effet. On nous trouvera toujours léger, vain et frivole. Il aura fallu apprendre à ne pas s’enthousiasmer. Toute entreprise, fût-elle la plus élémentaire, aura révélé combien les obstacles se dressent facilement dès lors qu’il est question d’autre chose que de faire de l’argent. Tout est compliqué et si lent que pour voir les projets aboutir, il faut d’abord une bonne dose de patience et d’optimisme, sans quoi, l’on est que trop tenté d’abandonner. On a senti passer sur soi les premiers signes perceptibles de l’âge qui s’avance vers ce que l’on ne sait que trop bien. La colline, les pierres, les chardons, les déclinaisons du grec ancien sont désormais les compagnons des jours déjà anciens et de ceux encore à venir (on l'espère). S’il fallait retenir un changement notable, ce serait celui-là : le compagnonnage avec la terre et les racines grecques. Se mêler au monde paraît de moins en moins désirable. Le monde, il est vrai, se rappelle constamment à notre bon souvenir qu’on le veuille ou non. Le monde industriel d’abord : des pylônes gigantesques défigurent désormais le plateau ainsi qu’une tout aussi gigantesque étable, tellement gigantesque que le mot « étable » ne semble plus être très adéquat. La banlieue nous rattrape, même ici, en ce lieu que l’on espérait mal accessible et peu hospitalier. Il faut grimper sur la colline et tourner le dos au plateau, s’enfoncer un peu dans le pli des collines pour respirer un autre air plus habité par la vacance. L’administration se rappelle constamment à nous et l’année qui vient promet, sur ce plan, des désagréments bien vifs. Ces derniers jours, le désordre le plus complet aura régné quant aux lectures. Signe classique en ce qui me concerne que les choses ne tournent pas rond. Je passe d’un livre à l’autre à la recherche de je ne sais quel remède, ou quel mot, qui puisse me rendre cette tension interne, ce ressort, comme l’on dit si justement, qui donne la sensation que quelque chose doit être fait. Sans doute, certainement, ai-je bien tort de chercher au dehors ce qui ne se trouve qu’à l’intérieur. Je crois cependant qu’une impulsion peut venir d’une phrase, bien souvent c’est une phrase. Ou d’une image.

Julien Gracq est mort. J’ai lu les livres de cet auteur quand j’avais vingt ans. Je ne le lis plus. J’ai néanmoins rouvert En lisant en écrivant. Il en va de Gracq comme de Stendhal dont il parle abondamment : on le reconnaît instantanément à peine le livre ouvert. Une phrase suffit. On est en pays de Loire. La phrase de Gracq est fluviale.

Publicité
Publicité
Commentaires
H
L'association des fossiles et du grec ancien m'a rappelé ce temps de la grammaire grecque, l'aoriste, traduit par le passé simple français, mais qui exprime plutôt l'aspect zéro de l'action, la notion verbale pure et simple. On emploie ce temps en grec pour dire une vérité générale, un regard global sur ce qui a toujours été vrai par le passé, à partir de l'instant présent: c'est l'aoriste gnomique, de "gnômai", les maximes. "Thaumasta époiêse tukhê", le hasard fait des choses étonnantes: c'est l'exemple donné par la leçon.<br /> (Source: J.-V. Vernhles, Initiation au grec ancien, Ophrys, p. 107 et 153).
La Nouvelle Lettre du Jeudi
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité