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La Nouvelle Lettre du Jeudi
5 décembre 2007

Carillons

Aube, aurore, de tels mots regorgent de multiples strates et sont comme des dédales. Le Lingas est roux sous le soleil matinal. Il barre l’horizon de ses sommets pelés dont les noms sonnent comme de lointains carillons : Les trois quilles, le Saint-Guéral ( la Vis y prend sa source). Ce soir, je serai à Paris.

*


Ne pouvant dormir, parce que je songeais avec trop d’ardeur aux jours parisiens, et notamment à cette délicieuse déambulation dans les salles du Louvre où l’art sumérien se révélait à moi dans sa monumentale beauté un peu massive et naïve (affirmation innocente, dénuée de toute culpabilité de la puissance royale), je suis descendu m’asseoir devant cet écran. Comme si je pouvais retrouver cet art du lointain en écrivant ces paragraphes. Parmi les pensées tourbillonnantes qui m’empêchaient de sombrer dans le sommeil, l’idée de l’emprise de la petite affaire privée sur le monde de l’écriture contemporaine exerçait une tension particulière. Elle était comme la locomotive tirant les wagons de l’insomnie. La statuaire grandiose de l’art sumérien est compensée par une production aussi passionnante de statuettes parfois, souvent, minuscules. Sur de nombreuses reliques de ce passé lointain, une main d’homme (ou de femme ?) a laissé les traces de sa maladresse. Et l’objet n’en est que plus beau et plus intensément vibrant. La terre qui a séché a gardé l’empreinte du geste gauche. Avec le temps, la gaucherie s’est changée en une sorte de modestie bienvenue. Je n’ai jamais aimé le « léché » en art. Les autoportraits de Rembrandt, le portrait de son fils Titus, sont, peut-être, un support propice à une rêverie égotiste qui refuserait de confondre ce que j’ai appelé la petite affaire privée avec cette part d’individualité qui se dégage en chacun de nous et nous fait sembler être ce sujet unique et singulier qui malgré tout se confond avec un soupçon d’universel. C’est la phrase qui doit inventer ce sujet. Le sujet doit transparaître dans la phrase comme le visage de Titus transparaît dans cette pâte sombre qui le saisit de toute part. C’est la peinture qui invente Rembrandt et non l’inverse. Il n’y a rien de très personnel à raconter. Ce qui est personnel est à la fois commun, paradoxalement, et ennuyeux. Rembrandt ne cherche pas à afficher ce qui serait comme sa vérité individuelle propre, jamais. Même ce qu’on appelle faute de mieux le style est partagé avec les élèves. Et curieusement, c’est ce style, cette manière de prendre le sujet, de le saisir dans l’épaisseur de l’huile et du pigment, bref, cette manière qui par définition se transmet et se partage qui exalte le propre de l’individu Rembrandt. Pour dire les choses platement, plus la pâte universalise le modèle et plus le modèle nous paraît singulier et humain. L’humanité et l’individualité ne passent qu’au travers de cette peinture travaillée avec art. Et il suffit de regarder les maîtres de l’époque et leurs portraits trop parfaits pour comprendre où je veux en venir. La peinture neutralisée par la virtuosité de la main neutralise aussi son modèle, elle le tue en croyant lui donner vie. Il en va de même de l’écriture qui s’en tient à la petite affaire privée. Elle croit tenir l’essentiel des heures en scrutant les faits et gestes et en les rapportant (encore faut-il voir et lire comment elle les rapporte!), mais que valent ces petites confessions qui figent l’existence ? C’est la vie qui passe dans ces lignes qui importe, le reste n’est que littérature.

Il faut être avec la nuit.

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