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La Nouvelle Lettre du Jeudi
25 mai 2007

Remords du remords

Lecture simultanée de la biographie de Freud pare E.R. et du livre sur la mystique rhénane d’Alain de Libera. Ces lectures m’aident à composer un dispositif dont le noir est l’épicentre. À la place du mot « Dieu » et « sexe », je place le mot « noir » (cf. première approche à paraître dans la revue Formules). Les premières esquisses à propos de Malevitch trouvent ainsi une première forme d’expression. Eckhart parle d’un « petit château fort dans l’âme ». L’optique eckhartienne est passionnante et ouvre des pans que je soupçonnais mais qui ne « prenaient » pas. Or « ça » prend. Eckhart est un contemporain de Dante.

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Vent, nuages, soleil. Impossibilité de travailler cette après-midi. Grande nervosité. Reçu le dévédé « Vampyr ». J’écoute une émission intitulée « L’hécatombe des fous ».

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Il entra dans la cellule. Il se signa. Le froid s’introduisait partout dans l’abbaye. Il s’assit sur une chaise de bois. On lui avait remis une lettre qui venait de Rome.

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À propos de Maître Eckhart. « On ignore la date exacte de son décès, il partit de Cologne à destination d'Avignon pour défendre ses thèses. Quand ? Nul ne le sait avec précision. Ensuite, sa trace est totalement perdue. »

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Visionné Vampyr. Aujourd’hui tête lourde, éjaculation difficile voire nulle, constipation. Toujours Freud par ER.

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Lecture de la Bible d’Amiens de Ruskin traduite par Proust et présentée par Yvcs-Michel Ergal. Thèse audacieuse d’Ergal, le « je » de la Recherche = Ruskin. Séduisant, mais pas convaincu. Je dirais plutôt que Ruskin (la voix de Ruskin) est l’une des strates de la voix qui parle, un degré de l’instance. Pour le reste, rhume et tout est au point mort. Proust comme souvent est le fond qui demeure, ce à partir de quoi je peux recommencer à vivre, c’est-à-dire projeter des désirs de création et de gloses.
Hier, un Hitchcock en version originale, mais je n’ai pas saisi tous les dialogues loin de là. Par contre, j’ai pu grâce à cette mécompréhension mieux profiter des aspects visuels et sonores.
Chez Ruskin le thème du train. Repris et amplifié par Proust.
Aussi interprété le nom donné au premier essai romanesque de Proust comme ceci : Jean « sans t’œil ». Ce qui me saisit toujours avec la même vigueur : la conception morale de l’artiste chez Proust. Une morale de la création. Proust c’est la modernité accomplie dans son meilleur. Dans la préface à la Bible d’Amiens, il se montre très moderniste : la peinture ne peut pas être littéraire. On ne peut être plus clair.
Tenir en même temps Proust et Malevitch. Est-ce possible ? Oui. Autre chose, selon Proust, la configuration de l’objet évoque les traces de l’histoire de cet objet. Proust et Malevitch sont d’une certaine façon des « projecteurs » qui éclairent l’avenir. Ils sont derrière nous et devant nous aussi bien. Nous, je veux dire les créateurs d’aujourd’hui. Ils continuent d’éclairer le chemin que nous devons suivre. Ils éclairent bien loin devant encore, si loin que l’on ne peut même pas entrevoir cet horizon qui se dérobe à notre courte vue.

Brumes, humidité, fraîcheur. Dans le chapitre sur le hasard, Rodrigué succombe au syndrome de « qui trop embrasse mal étreint ». Il sort de son sujet sans que l’on comprenne exactement le rôle de cette sortie. Symptomatiquement, je pressentais à la teneur des paragraphes que le nom de Heidegger ne tarderait pas à surgir, et de fait ! Un comique involontaire s’introduit dans ce chapitre fumeux dont la métaphore centrale est l’image du cristal et de la fumée.
Les signes et les images nous trahissent toujours finalement. Et me revient dans un autre registre la formule de Barthes relevant à propos de ceux qui commettent en toute ignorance (et toute impunité) les fautes de français les plus audibles : ils ne s’entendent pas ne pas s’entendre.

Exemple (camusien). Une femme m’a longuement démontré que je commettais une erreur de prononciation quand je l’appelais Ghislaine et non Jissslaine. Selon elle, le son « gh » se prononce « ji ». Je continue néanmoins à l’appeler Ghislaine. Il est vrai que dans cette partie de la France (les cévennes sudistes), il est commun d’entendre un « s » sonore dans le pronom pluriel « ils » et un « s » tout aussi sonore dans l’adverbe « moins ».

À la radio Finkielkraut recevant Carrère et Forest.

Je tente un retour à l’écriture théorique. Difficile retour. On n’abandonne pas impunément durant des années la pratique d’une écriture rigoureuse et critique. Je commence des textes, mais rien ne prend, rien ne s’enclenche. Le pire étant que ce à propos de quoi je souhaiterais vraiment écrire n’a rien à voir avec ce sur quoi je devrais écrire. Relisant Proust, je suis tombé notamment sur ce passage célébrissime de la colère du baron de Charlus. Le dispositif mis en place par Proust pour mettre en scène cette colère appelle la glose. L’appel au commentaire s’inscrit dans le texte même quand le baron déclare au narrateur qu’il aurait pû écrire et lui répondre. Cette scène (au sens ambivalent du mot « scène » qui évoque un jeu théâtral ou cinématographique et une dispute conjugale) exerce forcément une fascination par son côté spectaculaire, mais, comme fréquemment chez Proust, une série d’indices secondaires élaborent en se corrélant les uns aux autres un sens nouveau qui oriente la lecture bien au-delà du spectacle (ou bien en deçà). Il en ressort un sens exemplaire qui éclaire le texte entier de la Recherche.   

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À l’instant, lecture de quelques pages de L’automne à Florence de James, pages qui concordent au mieux avec l’émission Répliques consacrée aux Eglogues de Renaud Camus réécoutée ce matin. En suivant James dans les rues de Rome, je m’égarais et me retrouvais à Turin, l’été passé. J’ai songé cette nuit à la librairie Bussola et à l’aventure de l’âme brève et intense que j’y ai vécu. Peut-on appartenir à une ville ? Si oui, j’appartiens à Turin et à son fleuve, à ses rives luxueuses et sinistres, à son air orageux, au voile qui nimbe ses montagnes, au bavardage qui brouille le silence de ses rues. C’est à Turin qu’il faudrait aller mourir. C’est là qu’il faut disparaître. À l’ombre des philosophes devenus fous. Dans la splendeur ancienne et miteuse d’un hôtel auquel on accède en ouvrant une vieille porte de bois après avoir erré sous les arcades rassurantes des promenades abritées.   


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