Passage

Lundi 21 août

A présent que le théâtre est devenu un objet de création qui me travaille (c'est littéralement l'objet qui me travaille, et non l'inverse), je me demande si je n'ai pas toujours aspiré à ce type de création totale. N'ai-je pas souvent espéré que la page s'anime ? Mais le théâtre est théâtre d'ombres. A Turin, à la Mole Antonelliana, j'étais fasciné par les papiers découpés, par les ombres chinoises et les marionnettes balinaises. La notion d'action et de geste, le mouvement sont des aspects qui motivent ma pratique. Les acteurs sont des marionnettes. Il y a quelque chose d'enfantin et de dur. Le sens du rituel est obscur, sauf si l'on accepte de l'envisager sous un certain angle. J'aime l'obscurité d'un texte (et je peux aimer aussi son extrême clarté (qui souvent n'est pas très éloignée de l'obscurité)).

Qu'est-ce que je cherche ? Qu'et-ce que je veux faire ?

Je cherche un rythme, par exemple. Je trace des lignes, je dessine des ombre ; je dessine le noir : le blanc dessine le noir. Et je veux que ça s'anime, que ça vive, voilà ce que je veux.
Je veux que ça atteigne quelque chose dans le sensible et le perçu. Je veux que ça reste. Le noir intériorise la forme, il la laisse deviner. La présence est presque là. Cette masse de noir est un refus. Un refus des mots tout d'abord. Violente contestation. Le noir de la nuit a avalé le paysage ; le paysage n'est plus visible, mais il est là, présent dans la masse compacte de la nuit. Ce côté compacte de l'être, des choses.

Il faut se laisser traverser par le noir, le noir guide le geste, est comme une éponge.

Le noir devrait être un échangeur, quelque chose qui permet de passer, un passage.

L'obscurité ne désire pas être plus obscure qu'elle n'est.

Pourquoi le goût de l'énigme, de l'énigme absolument énigme ? Et pourtant ça passe (cf. Oedipe).

La forme prend dans la maturation du noir. Entrer et sortir du noir. Ai-je d'autres préoccupations ?