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La Nouvelle Lettre du Jeudi
27 juin 2006

Aiguillages

Ligne 18 (suite I).

Avant qu’il ne démarre, le chauffeur, cloisonné derrière une vitre arrondie transparente, protection matérielle aussi bien que psychologique contre d’éventuels agresseurs, jette un bref coup d’œil sur la descente qui s’achève au carrefour des Brasseries Wiellemans, là où les lignes18 et 52 se séparent avant de se rejoindre, plus loin, un peu avant les bâtiments jaunis de la gare du midi.
A l'intérieur de la rame, parmi les lecteurs qui ont pris place sur les sièges de molleskine, on distingue le lecteur du journal des sports, le lecteur de science-fiction, la lectrice de faits divers, la lectrice d’un épais roman, le titre est voilé par une chemise de papier vert pâle, le lecteur des petites annonces muni de son bic et cochant ici et là des informations dont il est le seul à mesurer l’exacte valeur et, enfin, le lecteur qui tient ouvert le roman de Jean Ricardou intitulé " L’Observatoire de Cannes ". Du lecteur lisant le roman de Jean Ricardou, on distingue une partie du visage, l’autre partie est censurée par le livre ouvert à hauteur du nez. Le pouce cache le bas du texte du quatrième de couverture et les autres doigts oblitèrent le bas de la tranche craquelée du livre masquant le nom des éditions, nom par ailleurs lisible au bas de la couverture blanche pourvue de l’étoile signalant l’appartenance à la maison d’édition. Une auréole, serait-ce une tache de vino verde?, s’étale sur la moitié supérieure droite du livre, on mesure ce qui fût sa progression grâce aux variations des valeurs rosâtres qui vont s’atténuant. La tache a envahi une partie de l’espace blanc légèrement jauni (le livre date en effet de 1961), si bien que le titre se divise en deux parties : l’une se lirait " l’obser de ", - le V étant à moitié absorbé par le rose, il permet d’articuler un passage, un échange -, et l’autre se lirait " atoire cannes ". Juste au-dessous de la tache, une tache plus petite semble répéter la première, l’œil oscille d’une tache à l’autre cherchant vainement à repérer les symétries et les rapports d’échelle qui s’avèrent par ailleurs illusoires, ce faisant, l’œil s’aperçoit que la tache ressemble, à condition de plisser les yeux pour en synthétiser l’aspect, à la forme polygonale du plan de la ville tel qu’il apparaît sur les panneaux de signalisation.

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