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La Nouvelle Lettre du Jeudi
10 octobre 2009

La mort viendra et elle aura tes yeux

Notes sur la poétique de Cesare Pavese

au silence, au vent, au Barral obscur et lointain,


C’est à la page 326 du journal de Pavese, Le métier de vivre, que s’éclaire quelque peu ce que le poète entend lorsqu’il emploie le terme « symbole » :

« Musteriov et sacramentum signifiaient aussi « symbole ». Voilà la voie qui mène à la conception du symbole magiquement ou religieusement efficace.
Voilà la racine commune de la poésie et de la religion. Étant donné que l’image est aussi symbole.

Le rite fut à l’origine la chose même, la cause efficiente de l’effet ; plus tard, le symbole de celui-ci. »

La tonalité spéculative de la poétique pavèsienne est surprenante, surprenant en regard de l’atmosphère réaliste de Travailler fatigue, sauf si l’on garde à l’esprit que le modèle du poète est La Comédie (cf. sa déclaration à la fin du texte À propos de certaines poésies non encore écrites).

L’image est donc comme le symbole et comme lui puise sa raison d’être dans le rite. Il faut se souvenir ici que Pavese est né et a vécu son enfance dans un pays de collines où les rites villageois, les mythes terriens, ont encore toute leur puissance et leur efficacité. Néanmoins si le spéculatif se glisse dans la poétique pavèsienne, il importe de noter que ce rapport primo ne signifie pas que le poète soit un croyant, Pavese parle de « protestantisme sans dieu », et secundo ce rapport vise d’abord à enrichir la poétique (se reporter à la page 306, note du 17 septembre). Le poète a une pleine conscience de cette singularité au point qu’il note que sa « modernité réside tout entière dans (son) sentiment de l’irrationnel », ce qui est on ne peut plus clair.

Si le rapport spéculatif, cette tension établie avec l’élément irrationnel (n’oublions pas que nous sommes dans les années trente et quarante), offre au vers son atmosphère si singulière, oscillant sans cesse entre la dureté du réel et sa transfiguration par l’absence (ou l’Absence ?), il n’en demeure pas moins vrai que l’attention du poète s’oriente aussi et peut-être même surtout vers les problèmes techniques inhérents à l’écriture poétique. Sa tentative d’offrir une nouvelle définition de l’image poétique le montre ainsi que son souci constant de poser un ordre, une construction, lorsqu’il rassemble les poèmes au sein du recueil. Le problème de tout poète est bien en effet de susciter une perception globale en même temps qu’une perception locale. Comment relier les poèmes entre eux, etc ? Pavese lie étroitement sa théorie de l’image à ce problème.

Dans un premier temps, le poète détache l’image de son usage rhétorique. Autrement dit, il refuse à l’image sa fonction métaphorique. Dans un deuxième temps, il propose de redéfinir l’image en fonction du récit et mieux encore puisqu’il affirme que l’image est « obscurément » le récit lui-même. Il faudrait en ce point évoquer au moins trois modèles, Dante, le théâtre élisabéthain, que Pavese connaît très bien (cf. son journal) et le cinématographe, mais cela exigerait en soi une notule à part entière.

Selon Pavese, ce qui lie les poèmes entre eux est de l’ordre du rapport imaginaire et ce rapport est le thème du récit. C’est en ce point que la théorie de l’image montre toute son importance dans la poétique pavèsienne puisque d’une part elle détermine complètement l’écriture du poème et deuxièmement c’est elle qui induit un jeu de liaisons, un jeu de rapports entre les différents poèmes du recueil. Pavese lui-même relève ce fait quand il écrit que « dans la netteté de cet ensemble imaginaire, de même que dans ses possibilités de développement infini, je voyais la réalité de mon œuvre ». Cette conception poétique explique pourquoi Pavese peut écrire qu’il suffira d’écrire un seul poème, voire un seul vers, pour réaliser la forme de ce rapport. La force de la poétique pavèsienne de l’image se trouve dans cette potentialité active du rapport imaginaire, lié intimement à l’écriture du récit, autre nom du poème chez Pavese, et lié à l’articulation des différents poèmes du recueil. C’est cette conception-là qui d’emblée postule l’unité du recueil, c’est ce rapport imaginaire actif dès le premier vers qui potentiellement vise l’ensemble comme un tout déjà constitué et susceptible de développements sans fin.


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