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La Nouvelle Lettre du Jeudi
8 février 2009

À propos de "Mon Suicide. Poésie-fiction" de Jean-Luc Caizergues

La poésie, poule farcie à vieille prosodie (comme l'écrit Baetens), est menacée sans doute autant par le ridicule qui lui colle à la peau que par l’ignorance crasse de nos masses populaires, aussi bien il est vrai que par l’inculture criante et parfois assumée comme telle de nos « élites ». De plus, comme le montre Jan Baetens dans un excellent article, elle a été longtemps plombée, en France singulièrement, par un compagnonnage philosophique, voire d’une attitude servile à l’égard de celle-ci, d’où une surreprésentation de certaines valeurs, le blanc, le silence, l’indicible ontologique, pour ne citer que les plus manifestes, au détriment d’autres qui pouvaient la nourrir tout autant. Non pas que ces valeurs soient mauvaises en soi, mais celles-ci se sont ossifiées ; elles ont en quelque sorte stérilisé la poésie et l’ont coupée de la vie. À cet égard, la poésie américaine, songeons à A.R. Ammons, a pris un tout autre chemin.

En se focalisant sur les valeurs issues tout droit de la philosophie, la poésie ne perdait-elle pas sa dimension fondamentale qui, par exemple, se dévoile chez Dante : l’invention d’une langue populaire et haute à la fois, charriant  l’histoire, les mythes, les savoirs, menant l’individu à la révélation de lui-même (en tant que poète et en tant qu’homme) et pour ce qui est de la Comédie, amenant l’homme à palper de la langue l’indicible aussi bien que la dureté de la matière, donnant à éprouver au lecteur l’effroi de  la nuit infernale, sa teneur, sa consistance, et proposant son contraire : la perception impossible de l’ineffable. Certes, chez Dante, la philosophie joue aussi un rôle, mais la poésie est la maîtresse des lieux (cf. l’excellent commentaire d’Étienne Gislon dans ses études dantesques publiées chez Vrin) et l’exaltation de l’indicible n’empêche pas la langue de porter avec elle son époque, et de s’y frotter. La tentation ontologique de la poésie minimaliste toujours à deux doigts de succomber sous le primat de l’Être indicible a barré les possibilités de telles recherches. C’est de ce fatras onto-théologique que la poésie devait s’extirper et des connotations ridicules qui lui sont accolées par toute une tradition fleur bleue et mauricecarémienne, voire, il est vrai, parfois, mallarméenne.

Même s’il est vrai que toute une nouvelle génération de poètes a réussi à se dégager de cette gangue, de cette langue dématérialisée et dématérialisante, on pourrait citer les poètes publiés dans la revue Formules (Jan Baetens, Bernardo Schiavetta), des poètes comme Milène Lauzon qui écrivent souvent en dialogue avec d’autres formes d’expression telle que la bande dessinée (cf. Heureux, Alright !) et bien d’autres encore, il n’en demeure pas moins que pèsent encore, mais de moins en moins, toutes ces connotations onto-théologiques.   

Tout ceci pour en venir au livre de Jean-Luc Caizergues « Mon suicide. Poésie-fiction. », publié chez Flammarion. Un recueil de poésie dont l’humour noir relance avec beaucoup de conviction cette tradition lisible notamment dans les pages de l’anthologie de Breton. Mais il ne faudrait pas trop s’appuyer sur cette référence qui risquerait de fausser la réception de ce recueil. L’auteur se réclame en tous les cas de Topor, c’est un propos rapporté, mais à lire les poèmes, je le crois sans conteste.


Le fait nouveau dans cet ouvrage est signalé par le sous-titre de « poésie-fiction ». le dispositif du livre se présente comme une suite de poèmes, suite qui laisse place en toute fin de volume à une courte nouvelle, un pastiche ramassé et très réussi du roman d’Albert Camus « L’étranger ». La nouvelle se déploie à partir d’un motif suggéré par un poème écrit dans le recueil précédent de l’auteur « La plus grande civilisation de tous les temps », paru également chez le même éditeur.

D’une part, ce procédé ancre la volonté d’affirmer une continuité, les livres se succédant forment ainsi une œuvre en chantier, l’écueil de la dispersion  est écarté, d’autre part, le poème devient la source de la fiction et de la prose. Et par extension, ce sont tous les poèmes du recueil qui potentiellement deviennent source de fiction. Il me semble que, du coup, Caizergues renoue avec cette fonction fondamentale de dire son temps aussi bien que dire le Temps. La poésie de Caizergues nous dit les deux au demeurant tant il est aussi question de notre finitude et du caractère mortel de l’être humain. Comme on le lit, la métaphysique n’est pas refoulée, mais elle est contrebalancée par l’évocation du temps présent, par l’insertion au cœur du poème de la banalité la plus banale. Il importe que se formule aussi de cette façon noire, caustique et poétique malgré tout l’époque dans laquelle nous vivons.

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