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La Nouvelle Lettre du Jeudi
26 janvier 2009

Suite camusienne III

Pour Henri, il va de soi

Au risque de sombrer dans le grand n’importe quoi, un regard centré assurément me paraître être la condition de la mobilité textuelle, qu’elle soit du fait de l’auteur construisant son œuvre ou du fait du lecteur échafaudant sa lecture, et en un sens réécrivant ce qu’il lit (dans le meilleur des cas, il est vrai, mais bon). De nombreux fétiches pour parler en langue camusienne hantent les pages de la prose du Journal. Je ne me risque pas à les énumérer, il en manquera toujours au moins un que j’aurai oublié. J’en retiens néanmoins deux qui me paraissent éminemment parlants quant au problème du regard centré.

Les chambres d’hôtel et le château de Plieux, le château en général, sont des motifs récurrents, structurants et fondamentaux du Journal, l’un et l’autre, ils sont ces lieux privilégiés à partir desquels la vue et les vues se déploient dans le texte. Si la chambre d’hôtel évoque le voyage, le château, lui, évoque l’immobilité la plus stricte. Entre ces deux lieux se noue donc une relation de complémentarité et d’antagonisme aussi bien. Notons que ce jeu contradictoire anime mêmement la prose camusienne au point que l’on pourrait risquer cette comparaison entre le château et la page, car Camus est sans cesse entre la tentation d’écrire et la tentation de partir. Mais le château, c’est le haut lieu du texte, le site par excellence puisqu’il abrite la bibliothèque, outil sans lequel un écrivain comme Renaud Camus, je veux dire un écrivain qui s’attache à relier les mots entre eux, les siens et ceux des autres, ne peut pas donner toute la puissance de son verbe.

Mais au cœur de l’immobilité de l’architecture une mobilité très directement liée à l’écriture, au geste concret de l’écriture, existe. Il faut pour cela imaginer Renaud Camus écrivant dans sa bibliothèque et se levant, traversant la pièce, qui n’est pas petite, et cherchant un volume qui devrait l’aider à une tâche ou l’autre, soit relancer l’écriture, soit vérifier une citation, etc. On voit bien comment très concrètement le corps de l’écrivain agit au cœur de la bibliothèque.

Cette tension entre immobilité et mobilité traverse aussi le texte. Faut-il rappeler que la digression est le mode par excellence de la prose camusienne ? Et son corollaire : l’incise. La sensibilité poétique, l’onomastique à l’œuvre dans les pages, suscitent un jeu d’échos proprement poétique à l’intérieur du livre et à l’intérieur de l’œuvre elle-même, œuvre qui résonne avec la bibliothèque et de nombreux auteurs (Toulet pour ne citer que lui).  Il faut donc au lecteur une certaine disposition au voyage intérieur et au chemin de traverse. Il lui faut traverser les paragraphes. Traversée qu’il convient de faire en plusieurs sens : linéaire et classique pour le plaisir de l’oreille classique, à contre-courant, à travers les buissons, en sautant par-dessus les murs pour les esprits vagabonds, errants et relieurs.

Ces traversées de l’œuvre cependant ne sont possibles que dans la mesure où des ancrages forts sont répartis partout dans le domaine textuel. Il faut aussi creuser le texte, creuser le sens. Faire son surplace. Comme Barthes le note dans une préface. Mais paradoxalement, cette insistance, ce fétichisme, ce regard centré, ne prennent tout leur sens que si cette tentation existe : l’ailleurs, les vues que l’on ne voit pas et que l’on pourrait ou devrait voir. Il y a toujours d’autres vues non vues et à voir. Autrement dit, il n’y a de regard centré possible qu’à condition que ce regard si centré soit-il puisse à un moment ou un autre se décentrer, se perdre, fut-ce dans la nuit. Ainsi me semble-t-il agit la photographie en couverture de Fendre l’air, c’est une marine de Stevens, au Musée Fabre, je crois l’avoir vu là, et c’est aussi ailleurs, et autour comme la nuit.

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Commentaires
U
Oui, l'écrivain oeuvre au coeur de sa bibliothèque, comment pourrait-il faire autrement !
D
Plieux comme "haut lieu" de l'écriture, de l'oeuvre qui s'accomplit : également vrai au sens physique, géographique du terme. La butte joue son rôle, et il n'est sans doute pas indifférent que la bibliothèque ait été installée au second étage.<br /> <br /> D'autre part, il me semble que chaque voyage, chaque projet de voyage même, en dehors des plaisirs que l'auteur en escompte, est vécu comme une plongée, ou plutôt comme une "replongée" dans le monde. Où l'on sait que chaque paillette de beauté nouvelle se paiera au prix d'un "barbotage" souvent pénible dans la laideur et l'insignifiance.
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