Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Nouvelle Lettre du Jeudi
17 décembre 2008

Hivernales et autres gloses

« Je ne puis ici traiter de tous à plein,
car mon thème est long et m’éperonne tant
que souvent la parole manque au fait.
De six à deux se réduit notre groupe :
Par autre voie me mène le sage guide,
Hors de la tranquillité, dans l’air qui tremble.
Et je viens en place où n’est chose qui luise.
»

La fin du chant IV de l'Enfer nous montre un narrateur qui commente sa propre situation à l’égard de sa tâche de poète ayant à écrire ce qu’il doit écrire. Narrateur ambivalent puisque, d’une part, le pronom personnel renvoie à l’individu qui s’avance en compagnie de Virgile vers les portes de l’enfer et d’autre part renvoie au poète en train d’écrire l’expérience qu’il a vécue et qui constitue la matière du poème. Dante apparaît donc à la fois comme personnage et comme auteur. Ce qui signifie que Dante n’est pas extérieur à ce qu’il écrit, mais qu’il expérimente le poème de façon littérale ; le poète est intimement lié au poème. Pourtant, il est aussi suffisamment détaché de sa matière pour commenter non pas l’action qui se déroule au sein de la fiction mais l’acte même, le geste de l’écriture poétique.

Dans le poème dantesque la focalisation ambivalente tantôt participant à l’action dans la fiction tantôt commentant l’acte poétique lui-même stratifie l’identité de celui qui dit « je » dans le texte. Ce qui est essentiel, mais, surtout, cette position à l’égard du poème permet à Dante d’échafauder au fil de l’ascension et de l’avancée du poème une poétique spécifique (dont on a vu très brièvement un exemple au chant XXV de l’Enfer). Dante feint de découvrir en même temps que son lecteur la matière de son poème grâce au personnage Dante, mais il ne peut en rester à cette position de feintise.

D’une certaine manière, on peut penser que la Comédie résout le dilemme de la Vie Nouvelle. Dans cet ouvrage antérieur, le premier de Dante, je crois, le commentaire et encore relativement scindé de son objet. Ou pour dire les choses autrement, la prose narrative se distingue du vers. La prose commente le poème (des sonnets et des ballades en l’occurrence), les deux dimensions sont très clairement distinguées. Ce qui signifie que le narrateur de la Vie Nouvelle ne se confond jamais avec le sujet du sonnet ou de la ballade. Les deux niveaux sont nettement scindés.

Dans la Comédie, Dante résout ce problème en posant une focalisation ambivalente qui à la fois participe au poème et à la fois le commente. Le commentaire lui-même est devenu plus fin, plus proche du geste poétique. En effet, dans la Vie Nouvelle, le commentaire se contente de distinguer les parties du poème et l’ordre dans lequel sont présentés les thèmes. Dans la Comédie, la réflexivité poétique s’est affinée et débouche sur une authentique poétique. Une poétique elle-même ambivalente. D’un côté, elle s’attache à montrer comment se forme la chose poétique (cf. la démonstration du chant XXV de l’Enfer), et de l’autre, elle se conçoit comme échec fondamental face à l’impossibilité de connaissance de l’ultime principe ou pour dire les choses positivement, elle se conçoit comme témoignage de l’indicibilité.

Grandes clartés venteuses et glacées au-dessus du causse. Les leçons de poétique que me donnent Dante ce matin m’aident à accepter la dureté des choses de la vie, l’âpreté de l’existence, mon étrangèreté comme dirait Renaud Camus. C’est, ici, sans fin que l’air tremble et brouille le regard.

Publicité
Publicité
Commentaires
La Nouvelle Lettre du Jeudi
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité