Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Nouvelle Lettre du Jeudi
19 octobre 2006

Zibaldone, à livre fermé.

Jeudi 19 octobre 13:57

Prenant le contre-pied de toute la tradition philosophique, Leopardi propose une conception positive de l'illusion. Cette notion doit être saisie dans un double rapport. D'une part, l'illusion est interprétée en liaison avec la nature et d'autre part l'illusion est conçue selon le mode d'être des anciens. A un autre niveau, l'illusion est envisagée comme critère esthétique, comme mise en scène du naturel. Le poète, le peintre se doit de paraître naturel, il doit feindre d'écrire ou de peindre comme si écrire ou peindre étaient des activités naturelles. On pourrait écrire que l'illusion garantit la qualité d'une oeuvre comme l'illusion garantit la qualité de la vie. Il est facile de comprendre comme Leopardi nous l'explique si bien que l'homme (entendons, l'homme au sens générique) ne pourrait vivre si à chaque instant il avait  conscience de son destin mortel. L'illusion assure à l'homme la capacité d'avancer dans la vie, de faire des projets, de créer des oeuvres. L'illusion est donc non seulement une bonne chose mais une chose nécessaire. L'homme pour vivre a besoin de l'illusion et de même le poète et le peintre. 

Leopardi oppose à la description moderne la suggestion et le vague homérique. En cela il se montre hardiment mallarméen et donc plus moderne que les modernes.

Les mots s'opposent aux termes ; Leopardi reproche aux modernes de réduire le mot au terme. Le mot - outre qu'il désigne un objet, une chose, un être - est accompagné d'un ensemble d'images (ce que nous appelons aujourd'hui "connotations") tandis que le terme se contente si l'on peut dire de désigner la chose sans plus (ce que nous appelons "dénotation"). Le terme apparaît au moment où la science se libère et accède à une relative autonomie en tant que discours. La science a besoin de ces êtres linguistiques spécifiques que sont les termes. Un terme doit désigner précisément la chose. C'est un être plat, direct, sans histoire. Le mot au contraire, et Leopardi, brillant philologue le démontre, s'inscrit dans une évolution historique et suggère plus de choses qu'il n'en désigne.

Le Zibaldone est un défi pour le lecteur et pour le commentateur. L'un et l'autre ne peuvent concevoir un seul instant de venir à bout d'une telle somme. Ces quelques lignes hâtivement rédigées ne peuvent paraître en comparaison autrement que grotesques, un griffonnage en bas d'une page. C'est comme si l'on mettait l'un à côté de l'autre l'Empire State Building et n'importe quel immeuble moderne de Bruxelles ou de Paris. Et encore, immeuble est trop dire ; il faudrait songer ici plutôt à une tente, un abri précaire que l'on installerait, un peu comme un sans abri qui se logerait au pied d'un gigantesque building. La comparaison cependant est en partie faussée. Car si le sans abri demeure inéxorablement dehors, la vertu du texte leopardien, et c'est la vertu des grandes oeuvres littéraires, des oeuvres qui comptent et qui changent la vie, la vertu leopardienne disions-nous est d'inviter le lecteur à se perdre dans ce dédal textuel et de s'en nourrir. Paradoxe proprement leopardien, le Zibaldone met à mal les illusions tout en posant la nécessité des illusions. Ce livre qui invite à ne pas s'en conter sur la vie – tout est néant dit le poète – est sans doute le livre qui est le mieux à même d'aider le lecteur à vivre et à affronter le néant totale de l'existence.

Le Zibaldone est un  livre nécessaire non seulement pour affronter le néant du monde, de soi, des choses, des êtres, mais sur un autre plan, il rend au lecteur ce qui aujourd'hui lui fait le plus défaut, c'est-à-dire la philologie et le contact – certes médiatisé par Leopardi – avec le terreau antique de la poésie gréco-latine.

Publicité
Publicité
Commentaires
La Nouvelle Lettre du Jeudi
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité