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La Nouvelle Lettre du Jeudi
3 mai 2006

Editorial n°2

Un regard est la conséquence d'une lente et progressive construction; et il est tout aussi possible qu'un regard, en même temps qu'il se construit, doive détruire les écrans qui président à ce que Dante nomme "l'image perverse". Comme nous reviendrons sur le sens que le poète florentin prête à cette expression, nous laissons l'expression image perverse dans sa relative obscurité. Dans l'attente d'une première approche de la poétique du regard propre à Dante, contentons-nous néanmoins de préciser, mais très approximativement, que l’image perverse est l’image non aboutie, non résolue. L’image perverse est quelque chose comme une image bancale, un cochon à trois pattes, une tête à un œil.

La Nouvelle Lettre du Jeudi se propose d’endiguer le mieux qu’il se puisse la propension très (mais trop) naturelle de l’œil à glisser sur ce qu’il regarde. Le propos serait de retenir, de briser la surface lisse de l’écran, d’atteindre l’œil dans la chair et dans l’esprit.

Les lecteurs qui suivent la Nouvelle Lettre du Jeudi depuis le début savent que l’auteur n’hésite pas à se recommander des autorités les plus hautes (et les mêmes lecteurs connaissent le bémol de Barthes (bémol qui est la scie par excellence de l’auteur de ces lignes : je ne me compare pas, je m’identifie)). Au-delà de ces recommandations se profile cependant autre chose (du moins c’est ce qu’on espère) qu’un goût prononcé des « grands » auteurs. C’est d’une quête et d’un apprentissage qu’il s’agit. Quête du regard et apprentissage du voir et du regarder.

A cette fin, l’on n’hésite pas à remonter à Dante (l’article est en cours de rédaction (ce sera une lecture du chant XXV de L’Enfer)), et à partir de Dante l’on remonte (en coupant sèchement et hardiment au travers des siècles) à Rousseau. Pourquoi Rousseau ? Sans doute parce que cet auteur est le premier à inventer un regard dynamique, un regard de passant. Ce que Baudelaire ne manquera pas de  relever. Un axe se dessine donc qui passerait, à partir de Dante, par Rousseau et Baudelaire, se perpétuerait du côté de Proust et de Kafka, serait repris et amplifié par Benjamin et via Claude Simon relancé par Renaud Camus. Ce n’est qu’un schéma, et il vaut ce que peut valoir un schéma : rien de plus qu’une idée générale (et somme toute mal dégrossie).

En tous les cas, ce schéma généalogique précise le parti pris d’une poétique du regard engagée dans la pratique aussi bien que dans la théorie (la « théorie » est à vrai dire elle-même très engagée dans la pratique (Dante exemplaire aussi à ce point de vue)). C’est ce que manifeste (on l’espère) le blog de La Nouvelle Lettre du Jeudi. Sur ce blog, le lecteur peut lire et regarder et passer d’un degré à l’autre de la lecture. Les gravures sont les échos des textes et inversement. 

Ont été rassemblés et repris les articles écrits il y a bien longtemps, naguère publiés sur le site www.freon.org (c’était un autre monde et une autre époque) ; mais par souci de lisibilité et de clarté, il a été décidé de publier à nouveau ces articles. Rien ou si peu a été corrigé, non par paresse, mais pour garder dans les phrases l’air du temps de ce temps-là.

Le lecteur de La Nouvelle Lettre du Jeudi peut à présent percevoir un horizon, un Texte, une Image. Pour l’avenir de la NLDJ, on annonce la republication d’une étude benjaminienne, l’achèvement de la publication en son entier des planches du « Château » et des nouvelles gravures qui ne manqueront pas d’être créées. On annonce aussi la publication de pages de carnets de dessin et les pages d’un journal dessiné.

Le premier éditorial évoquait l’édification d’un soi. Le lecteur aura saisi combien ce soi-là, ce tiers, est totalement déterminé par le processus sans fin de la scriptolecture (dans « scripto », on dépose audacieusement tout ce qui se rapporte à l’écrit au sens barthésien du terme).

Dans l’attente d’être lu et de vous lire, recevez, chères lectrices et chers lecteurs, mes cordiales salutations.

Olivier Deprez 

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